En mer avec la Pelni

Pour aller en Papouasie depuis Surabaya en Indonésie, il y a des avions, pas si chers, rapides, sûrs et confortables. Sinon on peut prendre un ferry à l’hygiène douteuse, qui risque de couler et qui dure 5 jours. Évidemment, on a choisi la seconde option, beaucoup plus marrante.

Direction d’abord les comptoirs de la PELNI pour obtenir nos deux sésames : deux tickets en classe économique sur le ferry du lendemain pour la modique somme de 753 000 rupiahs (un peu plus de 60€).
Puis le dimanche, arrivés au port deux heures avant le départ pour avoir le temps de manger un dernier Masakan Padang , nous découvrons que les passagers sont déjà en train d’embarquer et de gratter toutes les bonnes places sous notre nez.

Pas le temps de rassasier nos estomacs pour le moment, il faut trouver deux couchettes bien placées pour les 5 jours de voyage. Autrement dit et si possible : pas dans un passage, loin des sanitaires et proche des cuisines pour les repas gratuits. Quand on ne connaît pas l’aménagement en montant à bord, on prend ce qu’on a, le plus loin possible des odeurs des toilettes, c’est déjà pas mal.
Le grand cirque de l’embarquement poursuit son cours quelques heures, les dockers envahissant les soutes et les dortoirs de cartons, si bien qu’il devient parfois difficile de circuler dans les allées. Difficultés que les vendeurs ambulants ne manquent pas de compléter par des allées et venues incessantes.

Nous allions bientôt partir pour l’île de Papouasie sans même une carte à se mettre sous la dent (en fait nous avions imprimé puis scotché des captures d’écran Bing maps) et sans rien savoir du pays mis à part les sempiternels avertissements sur internet « Bigre, n’y allez pas, c’est dangereux!« . C’était sans compter sur notre rencontre avec Adam et Marcelo, les deux seuls autres blancs du bateau qui avaient en leur possession un Lonely Planet Papouasie-Nouvelle-Guinée de 2008 qui leur était devenu inutile faute d’argent pour y aller. Bien que nous n’avons jamais été très affolés par l’absence d’informations sur le pays, notre organisation prenait une autre allure avec le guide en poche, en échange d’un vieux téléphone portable thai. Nous les quitterons le lendemain puisqu’ils descendaient au premier arrêt, Makasar.

À bord, nous sommes les vedettes. Tout le monde veut nous serrer la main, échanger quelques mots d’anglais, faire poser ses enfants avec les blancs. La finale de l’Euro à 3h du matin nous fait comprendre tout de suite qu’aucune nuit ne sera calme, la télé reste allumée, les lumières éclairées et l’appel à la prière retentit dans les hauts parleurs dès 5h du matin. Certains diraient « qu’on devient fou si on ajoute à cela le bruit et l’odeur« , notamment des cigarettes envahissant le dortoir malgré les interdictions.

Pour être francs, nous n’imaginions pas vraiment autre chose en achetant nos billets, difficile donc de se plaindre une fois à bord où la routine s’installe petit à petit. Trois fois par jour, il faut aller chercher sa barquette gratuite en cuisine au terme d’une longue queue. Quand vous êtes blanc et que l’équipage commence à vous connaître vous avez parfois un peu plus de barquettes que prévu, ce qui n’est pas forcément un avantage quand on en connaît la composition : riz blanc, petit morceau de poisson au goût acerbe. Pour un euro de plus, on a droit à l’oeuf cuit dur. Toujours prévoyants à ce sujet, nous avions prévu quelques réserves de chez Carrefour Indonésie dans nos sacs.

Nos journées à bord sont rythmées par les parties d’échecs dont les Indonésiens sont friands, et les arrêts dans les ports (un par jour en moyenne) marqués par une cohue générale dans et en-dehors du ferry. La population du bateau triple pour quelques heures, le temps de décharger, recharger les soutes et monter à bord pour vendre nourriture, cigarettes, peluches, jouets, vêtements, téléphones portables, eau (alors que celle-ci est gratuite à bord). Vu de l’intérieur, on se croirait dans une fourmilière où chacun sait la destination de chaque carton. Ou bien c’est juste une grooooosse pagaille, l’hypothèse n’est pas à exclure en Asie.

En mer, la couleur de l’eau passe rapidement au turquoise et on peut y observer des milliers de poissons volants, quelques ailerons, puis les ordures, jetées à la mer sans ménagement par le personnel. Sans avoir jamais eu une fibre écolo très développée, on a quand même un petit pincement en voyant les sacs poubelles à moitié éventrés se mélanger à l’océan.
Mais après tout, à bord non plus la propreté n’est pas au rendez-vous. Les jours passants, les toilettes sont bientôt dignes du film Trainspotting, une vague d’immondices se promenant sur nos pieds de babord à tribord au gré des tangages. Il n’est pas rare de trouver un individu urinant là où il y eut autrefois un urinoir. On imagine facilement que le reste est similaire. Bref, quand on souhaite conserver un minimum d’hygiène, et comme les douches et les toilettes sont communes, on prend l’habitude d’aller en première classe, fréquentée par des gens plus civilisés. Quoique parfois…

Le premier arrêt sur l’île de Papouasie, Nabire, nous laisse un avant goût assez étrange de la région. Nous sommes d’abord victimes d’un vol d’appareil photo. Heureusement, nos amis Indonésiens veillaient et un semblant de course poursuite s’engage alors dans les étroits couloirs pour finir par un mollestage en règle du fuyard.
On aurait presque du mal à croire que nous sommes toujours en Indonésie. La population est passée du type asiatique à africain en quelques kilomètres et le pont, outre les nombreuses tâches rouges provoquées par les crachat de noix de betel qu’ils mâchent, est désormais jonché d’épaves alcoolisées à moitié défroquées. Ce qui ne change pas, c’est qu’ils souhaitent toujours s’entretenir avec les blancs, à notre plus grand bonheur…
Pratique rarissime en Asie, des passagers tentent à présent de frauder en masse le contrôle des tickets, avec des techniques plutôt osées pour changer de pont en cours de route.

Heureusement, la cohabitation ne sera pas trop longue et nous voyons bientôt arriver le port de Jayapura, que nous accostons à la tombée de la nuit. Le débarquement n’est en fait pas vraiment plus rassurant : la foule est nombreuse, bruyante et le port non éclairé, si ce n’est par les lampes torches de quelques gardiens. Plus loin, des policiers forment un entonnoir pour filtrer des centaines de personnes cherchant à pénétrer en force vers les quais. Un peu plus et on se croirait à Sangatte.

Dans l’obscurité, nous ne pouvons qu’apercevoir au loin une immense colline surplombée d’une croix catholique lumineuse, marquant une mixité religieuse affichée et pacifique entre catholiques et musulmans.