Terroristes biologiques

Savez-vous à quel point les australiens sont flippés de se retrouver avec un virus inconnu sur les bras, un poulet à trois pattes ou un lapin crétin qui contaminerait tout le reste du cheptel ? C’est arrivé en 1859 lorsqu’un chasseur britannique importa 12 couples de lapins et pas assez de cartouches. Les lapinous se retrouvèrent 600 millions 50 ans plus tard ! N’ayant pas de prédateur en Australie, les lapins furent plus gloutons que Taz lui-même et entraîna une chute de population chez les autres animaux. Pour tenter d’endiguer le problème, 3000km de barrière ne serviront à rien, ainsi que 2 virus et des renards qui ne s’attaqueront pas tout à fait aux bonnes bestioles. Depuis les australiens se méfient de chaque bactérie qui pourrait venir perturber l’équilibre biologique de leur continent.

Dessin de René Le Honzec

On était également au courant, et après 2 semaines à patauger dans la gadoue en Papouasie Nouvelle Guinée, un grand nettoyage était au programme avant de quitter le pays. Les vélos étaient recouverts de boue, leur housses remplies de terre séchée et nos sacs avaient acquis un voile grisâtre uniforme au court des derniers mois.

Bien sûr c’était évidemment sans compter deux diarrhées carabinées et une grosse infection du genou. Bref, on est arrivés tout cradingues sur l’immaculée Australie, incertains de ce qui nous arriverait à la douane de M. Propre™.

Dans l’avion il faut remplir la classique petite fiche d’immigration. Cette fois on ne nous demande pas si nous sommes des terroristes, mais si nos chaussures sont bien propres et nos aisselles parfumées. On a évidemment la grille gagnante : « a été au contact d’animaux, de fermes, de végétaux et bactéries en tout genre ». On est officiellement estampillés terroristes biologiques.

Débarqués de notre mini avion rempli d’Australiens tout propres, notre dégaine et les petites fiches jaunes nous trahissent de suite. Notre dernière douche remonte à plusieurs jours et nous avons passé la nuit dans l’aéroport de Port Moresby, entre un coin de moquette et les toilettes.

Alors que le terminal finit de se vider, nous vidons nos sacs devant les « douaniers biologistes » à la recherche du précieux germe qui pourrait chambouler tout l’écosystème australien. Toutes nos affaires sont enveloppées dans des sacs plastiques (en cas de pluie et d’étanchéité ratée) dont certains révèlent quelques surprises, tel un sac de fringues humides à l’odeur pestilentielle. Nos amis douaniers sont en face d’un cas d’étude et sont tout excités à l’idée de trouver une nouvelle espèce d’insecte plutôt que de courir après des pommes. Hé oui ne comptez pas importer une pomme en Australie, Terroristes !

Aéroport de Cairns

On se retrouve tous les quatres à aspirer les recoins des sacs et à nettoyer les vélos dans une douche géante à la brosse à dent et au dégraissant. Le visage de ma douanière s’éclaire lorsque je déplie les tentes. De petits insectes morts étaient coincés dans la toile intérieure. Ni une ni deux, elle en prélève une partie, toutefois un peu déçue de ne pas avoir trouvé d’oeufs (l’ennemi public).

Après 2 heures de nettoyage de printemps, nous sommes autorisés à entrer en Australie, propres. Pour fêter ça, on passera notre première nuit sur le sol, propre, de l’aéroport.

Aéroport de Cairns

Quitte à être paranos, les australiens se sont également dit « pourquoi pas interdire l’importation de fruits et légumes en Western Australia !? » (Le Western Australia est l’état à l’ouest qui fait environ la moitié de l’Australie). Ainsi, au beau milieu de nul part trône une douane dont la tâche est d’empêcher la contrebande de fruits et légumes. Certains font des saisies de cocaïne… eux traquent les bananes et carottes illégales. À  n’en pas douter, un acte certainement indispensable pour conserver l’équilibre écologique de cette région dont les frontières ont été tracées à la règle.

René Le Honzec est l’auteur du dessin illustrant l’article. Réalisé dans le cadre d’une re-publication de cet article sur le site Contrepoints, l’auteur a aimablement autorisé son autorisation sur ce site.




Voyager en dinghy-class

La Papouasie Nouvelle Guinée est un pays qu’il vaut mieux parcourir sans agenda. Si une pluie torrentielle n’empêche pas votre voiture de traverser une rivière, la fiabilité toute relative des locaux peu habitués à entreprendre quoi que ce soit finira bien d’achever votre parcours bien ficelé.

Heureusement, on avait rien prévu. Après 4 jours à se la couler douce parmi nos hôtes, le clan Blackwara, il devenait plus que temps de reprendre la route. L’organisation du transport ne semblant pas leur fort, nous primes les choses en main en rebroussant le chemin jusqu’à Vanimo pour trouver nous même un dinghy. Le dinghy est un petit bateau pour 6-8 passagers qui a la fâcheuse tendance de se renverser dès que la mer s’agite un peu. À part le moteur, tout est d’une seule pièce en fibre de verre, une grosse coquille vide, sans sièges ni toit, et évidemment sans toilettes. Les conditions idéales pour le voyage de 5 heures sans interruption qui nous attend, qu’il pleuve ou que la mer s’agite.

Dinghy boat

En route pour Vanimo nous croisons Jerry, un jovial glandeur professionnel censé partir avec nous, accompagné de sa famille.

  • Hey Jerry, we see you in Vanimo ?
  • Yes, I find a car and and see you there.

Mais non, Jerry ne viendra pas, overbooké sans doute. Jerry était le spécialiste des discours foireux dès que l’occasion se présentait, à faire des bilans creux et des plans sur la comète, solennellement, façon remise de prix nobel :  « Alexandre, Grégory, vous êtes parmi nous depuis 3 jours… vous mangez comme nous et dormez comme nous. On parle de votre pays et du monde extérieur, on apprend des choses… ». Ça ne menaient jamais à rien, jamais de question, seulement de plats constats. Nous acquiescions de la tête, un sourire poli. Les papous sont fascinés par n’importe quel sujet mais ne posent jamais de question et la seule réaction que vous pouvez attendre d’eux est un tic de surprise ou désapprobation en faisant claquer leur langue sur leur palais. Sans télévision ni journaux à la campagne, ils ne connaissent presque rien du monde extérieur. Le peu qu’ils connaissent, ils le répètent 10 fois comme si c’était la première en ayant le sentiment de vous révéler une info capitale même s’il s’agit de vous dire pour la centième fois que leur principale nourriture est le sago. Un jour j’ai dessiné Jester, un chasseur du village. Il a montré le dessin à d’autres jeunes du camp en leur répétant une demi-heure où nous étions tous les deux assis dans la pièce lorsque je l’ai dessiné. Un fait sans intérêt. Chez eux c’est une histoire, chez nous une anecdote que nous n’aurions même pas idée de partager.

Dinghy boat

Au port de Vanimo on embarque sur un dinghy direction Aitape. Le pilote place les passagers symétriquement de part et d’autre du bateau pour l’équilibrer puis on s’élance à toute allure en rebondissant sur une mer ondulante. Chanceux, nous avons droit à une planche de bois en travers du bateau pour s’assoir, planche qui glissera lentement en arrière jusqu’à ce que je me retrouve sur le dos, au fond du bateau. Pour parler il faut hurler pour couvrir le bruit des moteurs. Aux abords des villages, des pêcheurs sur des bateaux rudimentaires taillés à même un arbre sont disséminés à la surface de l’eau. Nous filons au travers à toute vitesse pendant que les gens font coucou. Ils aiment bien dire bonjour aux connus ou inconnus. Ça occupe, et ils sont encore plus vifs quand ils aperçoivent les deux blancs becs que nous sommes. À l’horizon, la surface de l’eau frétille… Le bateau ralentit, le conducteur a repéré un banc de gros poissons. Il amorce un long virage en déroulant sa ligne pleine d’hameçons. Les passagers en profitent pour s’allumer une clope ou recommencer à mâcher de la noix de betel. Ils peuvent maintenant cracher leur excès de salive rougie hors du bateau sans s’en prendre plein la tronche. Tout le monde scrute la ligne à l’affut de la moindre agitation. Je vous laisse imaginer comment ça se passerait en France si le conducteur du bus que vous venez de payer une petite fortune s’arrête en chemin pour se gratter un Bingo.

Dinghy boat - pêche

Dinghy boat - pêche

Arrivés à Aitape la ville est tout aussi lugubre que Vanimo, les rues occupées par quelques locaux éparpillés, figés dans une pesante atmosphère. Les supermarchés sont mieux gardés qu’un coffre fort, sans fenêtres et entourés de gardes et barbelés. Pas très engageant. Un ivrogne nous portant beaucoup d’intérêt fini de nous convaincre de mettre rapidement les voiles direction Wewak, à 150km de là.




Quatre jours au Blackwara Camp

Suite à notre courte escale dans la ville de Jayapura et une laborieuse journée de vélo pour rejoindre la frontière, nous voici officiellement en Papouasie-Nouvelle-Guinée (PNG), pays inconnu, réputé dangereux, primitif voire cannibale. Un cocktail détonnant que nos avons hâte de découvrir, toujours accompagnés de notre organisation approximative.

Nous sommes alors rapidement rassurés sur la possibilité de longer la côte en vélo, la route de la frontière à Vanimo étant relativement plate, recouverte d’un beau bitume, peuplée d’autochtones des plus hospitaliers et bordée de plages « carte postale » à notre entière disposition. Même pas le temps de penser aux puk-puks, ces crocodiles des mers locaux pouvant atteindre les sept mètres.

Bref, un départ parfait malheureusement freiné après quarante kilomètres quand nous apercevons au loin une voie cabossée et montagneuse qu’on venait de nous promettre à la sortie d’un « supermarché ».

Tant pis pour les plages désertes et nos mollets, nous nous engageons une bonne heure dans ce chemin de croix quand un groupe de Papous nous stoppent, d’abord pour nous offrir spontanément bananes, boissons chocolatées, biscuits (et finalement tout ce qu’il était possible de tenir dans quatre mains), puis pour nous proposer l’hébergement pour la nuit. La décision ne fut pas difficile à prendre devant tant de bienveillance et nous étions admis dans le clan Blackwara (Pierre noire).

Le clan a un chef, dont le pouvoir se transmet de façon héréditaire depuis que les Australiens ont donné ce privilège à un de ses aïeuls. On est loin du glamour japonais autour de leur empereur descendant d’une lignée divine mais tout le monde semble respecter cette filiation promue par les colons.
La PNG est ainsi divisée en clans et l’intégration d’un nouveau clan passe forcément par l’aval du chef. Les changements sont nombreux et les refus plutôt rares puisqu’il est généralement interdit de se marier au sein d’un même clan. Il s’agit donc la plupart du temps de « regroupement familial ».

Rapidement nos hôtes nous indiquent qu’il est hors de question de continuer en vélo, la route étant beaucoup trop dangereuse : attaques fréquentes, souvent mortelles, rivières infranchissables, etc. Nous avons fait fi des conseils glanés épisodiquement sur internet mais rien ne vaut en principe les conseils des locaux. Après avis, Aitape, Wewak, Bogia, Madang, Lae, Port Moresby, tous ces villes étaient pires les unes que les autres, certains villages ne seraient composés que de Raskolls (les kaïra locales, le plus souvent drogués ou alcooliques) et les anecdotes les plus horribles accompagnent leur récit. Nous connaissions la réputation du pays avant d’arriver mais jusqu’à aujourd’hui, nous avions toujours été rassurés par les populations quand nous devions traverser un pays risqué. Nous nous fions donc une fois de plus à leur jugement mais si nous voulons voir un peu du pays, il faudra tout de même penser à passer outre leur bons conseils de temps en temps.
Ils promettent alors de nous arranger un véhicule pour le lendemain, qui se rendrait à Wewak. Par « arranger« , il faut comprendre stopper un des nombreux pick-ups en espérant qu’il ait de la place à l’arrière. Ce qui ne doit poser aucun problème.

La boy’s house, la cabane où nous dormons

À l’intérieur du camp, le stress n’est pas au rendez-vous. Les hommes, c’est bien simple, ne font strictement rien de la journée, pendant que les femmes s’occupent du jardin, de la cuisine et de vendre quelques bricoles au bord de la route. On est tout de même loin de la grosse activité d’un côté comme de l’autre.
Tous mâchent et raffolent des noix de betel, qui, associées à de la moutarde et du « lime » (de la chaux?) rendent les dents rouges vives. Ces sourires sanguinaires nous accompagnent depuis notre escale de ferry à Nabire. La consommation est tellement importante qu’on compte presqu’autant d’arbres à noix de betel que de cocotiers.

Et la cueillette? Facile.

Le soir, les hommes se réunissent dans la boys’ house où les femmes n’ont pas le droit d’entrer afin de « telling stories« . Une petite appréhension nous envahit d’abord à l’idée de devoir nous acquitter d’un rôle de conteur. En réalité, nous attend une soirée glandouille pendant laquelle tout le monde se regarde dans le blanc des yeux si nous ne posons pas quelques questions.

John, grand chasseur brecouille

Première nuit sur le plancher, c’est bon pour le dos paraît-il. Nous ne sommes pas vraiment convaincus au réveil. Nos sacs sont prêts dans le cas d’un départ précipité dans une voiture mais rien ne laisse penser que quelqu’un s’occupe de trouver un transport. On nous emmène « wash-wash » à la rivière, où les enfants jouent la plupart de la journée sur un toboggan formé par le courant au fil des ans. Une feuille de bananier sous le postérieur et voici un parc aquatique improvisé se finissant souvent par une grosse gamelle.

Le repas, composé de bananes vertes, de bread-fruits (fruit qui rappelle le goût du pain) cuits au feu de bois et de noix de coco est plutôt fade. Les heures passent et aucun véhicule ne semble être disponible. Autant faire bref, ils vont nous faire le coup tous les jours, nous racontant des tas de problèmes invraisemblables, qu’il n’y a aucun bateau, aucun véhicule alors que nous savons pertinemment à travers le guide qu’on nous a offert qu’il y en a tous les jours. Ils doivent sans cesse arranger un transport via un ami qui connaît un beau frère d’un cousin qui aurait une voiture ou un bateau selon les versions. Ils se rendent à Vanimo des journées entières, revenant soit bredouilles, soit bourrés.

Leur hospitalité étant des plus attentionnée, nous comprenons qu’ils veulent en réalité que nous restions mais n’osent pas nous le demander directement. Nous restons quatre jours parmi eux, plus ou moins volontairement.
Pendant notre séjour, chacun souhaitait s’occuper des deux blancs, ce qui nous valait parfois de voir arriver 3 repas copieux au lieu d’un. Et tous les jours des montagnes de biscuits, des fruits, des dizaines de gamins à poil pour « wash-wash » avec nous et la nuit tombée, nous repartions dans une séance de « telling stories« . Ces petites réunions deviennent vite ennuyeuses puisque ne faisant rien de leur journée, ils n’ont rien à raconter. Nous parlons alors plusieurs fois de notre voyage, suscitant beaucoup d’intérêt mais peu de questions en retour.
Côté médecine, les accouchements se passent à l’hôpital local, qu’il faut payer. Et pour tout le reste, il y a la feuille de salat, une plante sauvage avec laquelle ils frappent la zone douloureuse. Mal de ventre, hématome, foulure, fracture? Salat. Après essais, ça semble bien n’être qu’une ortie dont nous doutons fortement de la capacité à soigner les fractures.
Et en cas d’échec, amputation maison ?

Pour communiquer, rien de plus facile puisqu’ils sont nombreux à parler anglais ou tok pisin, un mélange de dialecte papou et d’anglais développé il y a un siècle quand les Allemands contrôlaient l’île de Papouasie.
Good morning=morning
Good afternoon=apinoon
Thank you=tenkyou
My name is=name do me
Your name is=name do you

À l’école, ils apprennent donc dans l’ordre le dialecte locale, le tok pisin, puis l’anglais. Quand ils peuvent s’y rendre, car l’école la plus proche du clan est à 20km. Nous leur avons soumis l’idée de faire cours sur place, les enfants étant tout de même assez nombreux et les hommes ayant une propension assez impressionnante à la procrastination. Mais un silence de plomb a suivi notre suggestion… Ils semblèrent un peu plus enthousiastes lorsque nous avons parlé d’hydroélectricité, croquis à l’appui, au lieu de bricoler des montages avec des batteries de deux roues mais nous sommes bien persuadés qu’aucun n’a entrepris le moindre projet en ce sens depuis notre passage. Un homme, présenté comme un « grand chasseur » n’a rien attrapé durant notre séjour et le seul épisode de chasse qui nous a été rapporté s’est soldé par une fin prématurée causée par une panne de lampe électrique…
Nous comprenions vite que nous avions à faire à des gens qui non seulement ne sont pas des foudres de guerre mais qui n’ont jamais à l’esprit l’idée de progrès, qui se contentent de ce qui est à leur portée, nous rappelant le comportement des Laotiens, préférant dormir sous une cabane en lambeaux plutôt que de la retaper. Après tout pourquoi pas, mais leur journée sont si peu remplies que l’ennui est palpable.
La thèse du gouvernement corrompu pour expliquer les retards du pays prend petit à petit du plomb dans l’aile et il est difficile de se plaindre lorsqu’on n’entreprend absolument rien. Le manque d’initiatives privés est au moins autant responsable de la situation du camp. Un seul d’entre eux travaillait et semblait avoir un train de vie un peu plus « élaboré », se payant le luxe de regarder quelques DVD. Les autres, oisifs, ne semblaient pas sensibles à ce contraste.

Notre petit séjour parmi eux n’en était pas moins agréable. Chouchoutés, nous partagions un temps ce mode de vie avec beaucoup de plaisir, à généralement partager la vie des gamins Blackwaras et jouer aux échecs depuis notre cabane.

Mais toutes les bonnes choses ont une fin et nous décidions de prendre le taureau par les cornes pour organiser notre départ. Tout de même un peu las de se faire mener en bateau, nous partirons le lendemain matin pour Vanimo afin d’en prendre un nous même.

La suite, se passera encore sur l’eau.




Escale à Jayapura

Tout juste débarqués au port de Jayapura en début de soirée, nous émergeons de la cohue des quais en vue d’un hôtel. Mais nous avons trop tardé. Préférant comme d’habitude laisser descendre les plus excités en premier, nous nous sommes faits choper tous les lits bon marché en ville et devons nous rendre à l’évidence : ce soir, ce sera camping.
Seulement, la ville étant cernée de collines à l’allure nocturne plutôt incertaine, les coins où poser la tente sans risque de se faire visiter en pleine nuit ne sont pas légion. À l’approche d’un camp militaire notre demande d’un coin de pelouse pour planter quatre piquets échoue, la responsabilité d’un troufion-gardien étant ce qu’elle est, et nous nous réfugions de l’autre côté de la route, cachés derrière une immense pub pour le recrutement de l’armée.

Le lendemain, samedi, l’objectif est de changer nos rupiahs en kinas (la monnaie en Papouasie-Nouvelle-Guinée), expédier notre surplus de bagages en Australie en poste restante et de se faire tamponner nos passeports avant de nous rendre à la frontière (c’est la règle pour cette frontière uniquement). Manque de pot, pas moyen de trouver une banque ou un bureau de change ouvert le samedi et le bureau de l’immigration est fermé le week-end. Quant à la poste, ils n’envoient pas de Jayapura en Australie par voie maritime. C’est bien un port, des bateaux partent chargés de containers mais la poste n’effectue pas de colis par la mer pour l’Australie. Un transfert par Jakarta? Vous n’y pensez pas malheureux. Pour l’Australie c’est l’avion et à des tarots hallucinants. Pas de doutes, c’est bien marqué La Poste ici aussi. Nous voilà bon pour nous coltiner des kilos superflus sur les pistes papoues…

La baie de Jayapura, ses containers, ses bateaux, son port… que La Poste n’utilise pas.

Cela fait déjà quelques heures que nous tournons dans la ville, quand nous trouvons enfin la perle rare, la banque ouverte le week-end, jusqu’à 16h00. Il est 16h10… Les employés nous indiquent de revenir le lendemain 9h00.
Pas plus de chance pour faire des provisions en vue de la PNG, le seul supermarché digne de ce nom vient d’ouvrir et son affluence est proche d’un samedi après-midi en période de rentrée scolaire, le tout assaisonné d’une caissière fraîchement embauchée. Je craque en caisse après un quart d’heure, un mètre de progression, cinq en attente.

Dans l’impossibilité de partir, nous retentons notre chance auprès des hôtels. Sans plus de succès, nous retournons camper en face du camp militaire en espérant une journée plus glorieuse le lendemain.
Au petit matin, nous sommes gentiment délogés par quelques gradés qui ne semblent pas vraiment goûter à notre présence sous leurs couleurs. Sans rancune, ils acceptent de prendre la pose en souvenir.

En ville, l’espoir renaît quand nous tombons sur un employé de l’immigration qui nous promet que nous pouvons aller à la frontière ce week-end sans tampon puisqu’eux sont fermés.
Mais la banque sensée être ouverte ne l’est pas. Nous effectuons même la tournée des hôtels mais aucun ne changent de kinas. Bref, nous sommes bon pour rester encore ce soir et notre seul coin camping étant désormais verboten, il nous faut trouver un hôtel. Rien de nouveau sous le ciel de la chance, tout est complet dans le cheap, ce sera l’Amabelle à 30€ la nuit pour deux (soit trois fois un prix habituel de routard en Indonésie).

Allez lundi, normalement ce coup là, tout fonctionne sur des roulettes. Et cette fois, on sent bon, la douche est passée par là. Le bureau de l’immigration refuse de nous apposer les tampons de sortie car notre visa indonésien n’a pas été fait à une frontière. C’est la règle, finalement nous n’avons pas besoin de tampon. Et si vous aussi vous pouvez bien vous demander ce que ça change, posez leur la question par courrier (gare à Pos Indonesia!).
Direction les guichets de banque où même Bank Papua ne change pas de kinas et ceux prétendant changer en dollars australiens n’en possèdent pas. On rêve… Il faudra nous rendre 10km en direction de la frontière, à Entrop, dans un petit bureau de change ouvert le week-end et qui lui, change bien les kinas.

Et si le taux n’est pas sur le tableau, le patron le fixe à la volée depuis son fauteuil!

Donc le change était ouvert ici, nous n’avions pas besoin de tampon et la poste n’expédie pas par la mer. Oublions vite que nous avons perdu 2 jours pour rien dans la ville…
Vue l’heure il nous reste 4h pour rouler soixante kilomètres et arriver avant la fermeture de la frontière. En temps normal et sur route normale, c’est rapidement plié. En montagne, sous un cagnard équatorien, on pousse le vélo à la fin des côtes, on chope des crampes, on maudit la poste et on arrive une demie-heure après la fermeture…

Heureusement sur place, nous trouvons des militaires tous heureux de nous accueillir dans leur camp pour la nuit, nous payer à manger, discuter, jouer aux cartes et commencer à causer de notre prochaine destination avec quelques papous habitant sur place.
Nous retenons principalement que les habitants de PNG sont très serviables, amicaux mais que le pays reste dangereux.

Lendemain matin, séance photo avec les militaires puis sortie d’Indonésie où les douaniers font semblant de réfléchir à notre cas alors qu’ils savent pertinemment qu’ils nous ont déjà tamponné la veille à la demande des militaires… La fierté du douanier de démontrer son pouvoir de nuisance nous étonnera toujours.
La frontière papoue est à la hauteur de nos espérances : nous passons presque par le trou d’un grillage pour atteindre un poste frontière en bois. Quelques minutes plus tard, nous voilà sur les routes papou, à la découverte d’un pays coupé du monde et, point très positif pour un voyageur de nos jours, quasiment inconnu.




En mer avec la Pelni

Pour aller en Papouasie depuis Surabaya en Indonésie, il y a des avions, pas si chers, rapides, sûrs et confortables. Sinon on peut prendre un ferry à l’hygiène douteuse, qui risque de couler et qui dure 5 jours. Évidemment, on a choisi la seconde option, beaucoup plus marrante.

Direction d’abord les comptoirs de la PELNI pour obtenir nos deux sésames : deux tickets en classe économique sur le ferry du lendemain pour la modique somme de 753 000 rupiahs (un peu plus de 60€).
Puis le dimanche, arrivés au port deux heures avant le départ pour avoir le temps de manger un dernier Masakan Padang , nous découvrons que les passagers sont déjà en train d’embarquer et de gratter toutes les bonnes places sous notre nez.

Pas le temps de rassasier nos estomacs pour le moment, il faut trouver deux couchettes bien placées pour les 5 jours de voyage. Autrement dit et si possible : pas dans un passage, loin des sanitaires et proche des cuisines pour les repas gratuits. Quand on ne connaît pas l’aménagement en montant à bord, on prend ce qu’on a, le plus loin possible des odeurs des toilettes, c’est déjà pas mal.
Le grand cirque de l’embarquement poursuit son cours quelques heures, les dockers envahissant les soutes et les dortoirs de cartons, si bien qu’il devient parfois difficile de circuler dans les allées. Difficultés que les vendeurs ambulants ne manquent pas de compléter par des allées et venues incessantes.

Nous allions bientôt partir pour l’île de Papouasie sans même une carte à se mettre sous la dent (en fait nous avions imprimé puis scotché des captures d’écran Bing maps) et sans rien savoir du pays mis à part les sempiternels avertissements sur internet « Bigre, n’y allez pas, c’est dangereux!« . C’était sans compter sur notre rencontre avec Adam et Marcelo, les deux seuls autres blancs du bateau qui avaient en leur possession un Lonely Planet Papouasie-Nouvelle-Guinée de 2008 qui leur était devenu inutile faute d’argent pour y aller. Bien que nous n’avons jamais été très affolés par l’absence d’informations sur le pays, notre organisation prenait une autre allure avec le guide en poche, en échange d’un vieux téléphone portable thai. Nous les quitterons le lendemain puisqu’ils descendaient au premier arrêt, Makasar.

À bord, nous sommes les vedettes. Tout le monde veut nous serrer la main, échanger quelques mots d’anglais, faire poser ses enfants avec les blancs. La finale de l’Euro à 3h du matin nous fait comprendre tout de suite qu’aucune nuit ne sera calme, la télé reste allumée, les lumières éclairées et l’appel à la prière retentit dans les hauts parleurs dès 5h du matin. Certains diraient « qu’on devient fou si on ajoute à cela le bruit et l’odeur« , notamment des cigarettes envahissant le dortoir malgré les interdictions.

Pour être francs, nous n’imaginions pas vraiment autre chose en achetant nos billets, difficile donc de se plaindre une fois à bord où la routine s’installe petit à petit. Trois fois par jour, il faut aller chercher sa barquette gratuite en cuisine au terme d’une longue queue. Quand vous êtes blanc et que l’équipage commence à vous connaître vous avez parfois un peu plus de barquettes que prévu, ce qui n’est pas forcément un avantage quand on en connaît la composition : riz blanc, petit morceau de poisson au goût acerbe. Pour un euro de plus, on a droit à l’oeuf cuit dur. Toujours prévoyants à ce sujet, nous avions prévu quelques réserves de chez Carrefour Indonésie dans nos sacs.

Nos journées à bord sont rythmées par les parties d’échecs dont les Indonésiens sont friands, et les arrêts dans les ports (un par jour en moyenne) marqués par une cohue générale dans et en-dehors du ferry. La population du bateau triple pour quelques heures, le temps de décharger, recharger les soutes et monter à bord pour vendre nourriture, cigarettes, peluches, jouets, vêtements, téléphones portables, eau (alors que celle-ci est gratuite à bord). Vu de l’intérieur, on se croirait dans une fourmilière où chacun sait la destination de chaque carton. Ou bien c’est juste une grooooosse pagaille, l’hypothèse n’est pas à exclure en Asie.

En mer, la couleur de l’eau passe rapidement au turquoise et on peut y observer des milliers de poissons volants, quelques ailerons, puis les ordures, jetées à la mer sans ménagement par le personnel. Sans avoir jamais eu une fibre écolo très développée, on a quand même un petit pincement en voyant les sacs poubelles à moitié éventrés se mélanger à l’océan.
Mais après tout, à bord non plus la propreté n’est pas au rendez-vous. Les jours passants, les toilettes sont bientôt dignes du film Trainspotting, une vague d’immondices se promenant sur nos pieds de babord à tribord au gré des tangages. Il n’est pas rare de trouver un individu urinant là où il y eut autrefois un urinoir. On imagine facilement que le reste est similaire. Bref, quand on souhaite conserver un minimum d’hygiène, et comme les douches et les toilettes sont communes, on prend l’habitude d’aller en première classe, fréquentée par des gens plus civilisés. Quoique parfois…

Le premier arrêt sur l’île de Papouasie, Nabire, nous laisse un avant goût assez étrange de la région. Nous sommes d’abord victimes d’un vol d’appareil photo. Heureusement, nos amis Indonésiens veillaient et un semblant de course poursuite s’engage alors dans les étroits couloirs pour finir par un mollestage en règle du fuyard.
On aurait presque du mal à croire que nous sommes toujours en Indonésie. La population est passée du type asiatique à africain en quelques kilomètres et le pont, outre les nombreuses tâches rouges provoquées par les crachat de noix de betel qu’ils mâchent, est désormais jonché d’épaves alcoolisées à moitié défroquées. Ce qui ne change pas, c’est qu’ils souhaitent toujours s’entretenir avec les blancs, à notre plus grand bonheur…
Pratique rarissime en Asie, des passagers tentent à présent de frauder en masse le contrôle des tickets, avec des techniques plutôt osées pour changer de pont en cours de route.

Heureusement, la cohabitation ne sera pas trop longue et nous voyons bientôt arriver le port de Jayapura, que nous accostons à la tombée de la nuit. Le débarquement n’est en fait pas vraiment plus rassurant : la foule est nombreuse, bruyante et le port non éclairé, si ce n’est par les lampes torches de quelques gardiens. Plus loin, des policiers forment un entonnoir pour filtrer des centaines de personnes cherchant à pénétrer en force vers les quais. Un peu plus et on se croirait à Sangatte.

Dans l’obscurité, nous ne pouvons qu’apercevoir au loin une immense colline surplombée d’une croix catholique lumineuse, marquant une mixité religieuse affichée et pacifique entre catholiques et musulmans.