Législatives exotiques

L’évènement n’a pas intéressé pas grand monde, tant il est vrai que le pays n’existe pas sur la scène internationale mais des élections législatives se tenaient en Papouasie-Nouvelle-Guinée en juin et juillet derniers. Je dis juin et juillet car ces élections se sont réellement déroulées sur deux mois, les infrastructures, les traditions locales ne permettant pas de voter, connaître et diffuser les résultats en un temps record comme nous en avons l’habitude.

Si ce scrutin nous intéresse aujourd’hui c’est que nous en avons vécu une partie de l’intérieur, du 10 au 25 juillet. Immergés parmi la population, dormants dans les villages, sillonnants les routes du pays, nous fûmes forcés de nous entretenir régulièrement à ce sujet avec les locaux. Les résultats, nous ne les découvrirons qu’à notre arrivée en Australie, des jours après les résultats mais sans doute bien avant certains Papous.

N’étant absolument pas experts politiques, et encore moins de ce pays, nous nous garderons bien d’en faire une analyse poussée. Nous découvrons aujourd’hui à travers cet article de Wikipedia, plusieurs aspects qui nous avaient échappé, ou dont nous avions vaguement entendu parler mais sans pour autant être capables de les confirmer tant les informations qui nous parvenaient localement pouvaient être contradictoires.
L’objectif ici, est plutôt de décrire l’atmosphère du pays, l’état d’esprit de la population à travers ces élections, leurs ressentis, leurs attentes.

Dès notre arrivée, nous ne pouvions manquer l’affiche électorale géante placardée sur le poste frontière : « Patrick muliale n’a pas de rêves, il a des visions« . Le slogan peut prêter à sourire mais cela participe finalement à la même logique qu’en France où chaque parti nous présente son messie, le seul capable de sauver la patrie. Chez nous on promet, dans un pays où l’éducation est sous-développée on parle de rêves et de visions.

Ici, pas de règles sur l’affichage, on placarde où on peut et chaque maison est volontaire pour mettre en valeur son ou ses préférés car on vote pour trois candidats, par ordre de préférence. Les magasins, les rares abri-bus, les arbres sont également sollicités comme support d’affichage, jusqu’à l’intérieur des maisons. Lors de notre séjour chez les Blackwara nous dormions ainsi dans une pièce ornée de pancartes à l’effigie d’un candidat indépendant dont le nom m’échappe. Sur les affiches, les programmes démagos sont relativement proches et la seule différence semble être le degré de corruption que les électeurs attribuent à chaque candidat.

C’est ainsi que le nom de Michael Somare ressort régulièrement comme symbole de ce fléau. Il est vrai que le Sir (il a été anobli par la Reine, la PNG fait parti du Commonwealth) a une longue expérience à la tête du pays et son état ne plaide pas vraiment en sa faveur : les principales villes ne sont toujours pas reliées entre elles et l’économie ne décolle pas malgré la proximité de pays riches (Australie, Singapour) ou émergents (Indonésie, Malaisie). Régulièrement Premier ministre depuis l’indépendance du pays en 1975 (1975-1980, 1982-1985, 2002-2011) dont il est l’un des artisans, Somare se paie le luxe de figurer sur les billets de 50 kinas, ce qui n’est généralement pas très bon signe.
Somare n’est plus premier ministre au moment de l’élection, une hospitalisation un peu trop longue lui a fait perdre son poste quelques mois plus tôt. S’en suivra une crise politique et un mic-mac législatif indémêlable qui connut un point culminant lors d’une tentative de coup d’État fin janvier. À peu près la seule info dont nous disposions en entrant en Papouasie.

Nous avons tout de même rencontré quelques irréductibles défenseurs du « père de la nation » tel John, qui croit fermement à l’honnêteté de son favori, lui qui a travaillé 21 ans pour le gouvernement. Un point de vue pas tout à fait désintéressé…

Bref, la situation est plutôt tendue au moment de ces élections, il était d’ailleurs conseillé de ne pas voyager dans le pays pendant la période électorale, jugée plus violente et dangereuse qu’à l’accoutumée. Sur place nous n’avons ressenti aucune tension due aux élections malgré les choix affichés au grand jour de chaque électeur. On recense tout de même de nombreux conflits liés à ces élections. Candidats arrêtés, mort, urnes détruites, enlèvement, etc.
De plus, tout achat de bière était interdit jusqu’au 27 juillet, date de l’annonce des résultats définitifs, ce qui nous priva de goûter la seule bière locale, South Pacific.

Le vote, qui avait déjà eu lieu courant juin/début juillet, s’est déroulé sur une semaine dans la province Sépik Occidentale, et a priori plus longtemps ailleurs, le temps pour tout le monde de se déplacer jusqu’au bureau de vote le plus proche, ce qui peut rapidement prendre plusieurs heures assis à l’arrière d’un pick-up vu l’état lamentable de certaines routes.

Transport en commun papou

L’heure était donc à l’attente des résultats, diffusés partiellement à la radio au fur et à mesure que les bureaux de vote les validaient. L’article wikipedia faisant parfois état de plusieurs dizaines de recomptages, il n’est pas étonnant que cela traînait en longueur.
Le candidat préféré du clan Blackwara était bien placé, mais une annonce radio ruina rapidement leur espoir, laissant entendre qu’il pourrait être disqualifié car un membre de son parti avait fait de la prison. Une technique d’élimination officieuse mais habituelle d’après eux.

Malgré leur calme extérieur on sentait le moment très important pour eux, qu’ils attendaient beaucoup de ces élections. Hormis les partisans de Somare qui nous paraissaient bien naïfs sur l’intégrité du garçon, tous souhaitaient en premier lieu la fin de la corruption qui serait la source de tous leurs problèmes. Et pendant que le gouvernement annonçait manquer cruellement d’argent pour financer des infrastructures, les Papous se plaignaient de la pression fiscale déjà trop forte. On ignore de quels montants ils devaient s’acquitter mais passées quelques routes goudronnés, on ne voit pas vraiment où leur argent a été investi ces dernières décennies. Sur place, nous n’avons jamais vraiment réussi à savoir de quel bord était chaque candidat, les notions de socialisme, conservatisme ou libéralisme leur étant assez étrangères et les programmes promettant tous peu ou prou la même chose. On se tournait vers le candidat qui habitait le moins loin…

Les résultats de ces élections annoncent tout de même un changement notable : Somare a été réélu député mais son parti (Parti de l’alliance nationale) ne recueille que 7 sièges sur 111 contre 27 auparavant, passant du même coup de première à quatrième force politique du pays. C’est son grand rival Peter O’Neill (Congrès national populaire) qui remporte le pactole avec 27 sièges, suivis de Don Polye (Parti rural du triomphe, du patrimoine et de la responsabilisation, 12 sièges) et Belden Namah (Parti de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, 8 sièges). Les 64 sièges restants se partagent entre 18 autres partis et 19 candidats indépendants.

Reste à voir si ce nouveau renversement de l’échiquier politique papou sera suivi dans les faits. O’Neill n’est pas un petit nouveau en politique (il participa plusieurs fois aux gouvernements de Somare avant d’en être l’opposant) et ses promesses électorales fleurent bon la démagogie de bas étage : l’éducation et la santé gratuite, quelques mois avant les élections.
Tandis qu’il faudra de toute façon patienter encore de longues années avant de voir la Papouasie-Nouvelle-Guinée se placer dans la cohorte des pays émergents de la région, d’éventuels changements seraient vite remarquables sur place à cause du sous-développement actuel : le transport maritime est quasiment inexistant (pour le plus grand bonheur des quelques compagnies aériennes, le comble sur une île), certaines pistes n’ont été créées que grâce à d’intrépides entrepreneurs malaisiens, l’électricité n’émerge que de quelques kilomètres autour des villes, et la capitale, Port Moresby, n’est toujours pas reliée par la route aux autres villes.