Notre vie en camp de gitans

Vous aviez déjà eu un bref aperçu de notre vie à Port Hedland via les précédents articles, il est temps de s’attarder un peu sur certains détails. Aujourd’hui on va causer un peu drogues et gitans. Sur place, notre quotidien nous apparaissait plutôt normal mais l’ambiance de ce camp était en fait complètement barge quand on connaît un peu les énergumènes sur place. Un petit tour d’horizon s’impose. Retour sur 7 mois haut en couleurs.

Il y a d’abord Cliff que nous évoquions dans l’article précédent – oui ça date mais le lien est ICI, vous n’êtes pas perdus – ce vieil Australien, « propriétaire » du camp et dont les coups de sang ne passaient pas inaperçus.
Installé ici avec sa femme Leena depuis bientôt 10 ans pour pêcher, son hospitalité n’a d’égale que sa haine pour la mairie, le gouvernement et BHP, la compagnie minière qui contrôle la ville en soudoyant les premiers cités. Les prix des logements étant volontairement maintenus très élevés, il avait décidé d’accueillir, une, deux puis trente ou quarante caravanes/bungalows pour aider les gens. Les 150$ de loyer par semaine ne servent qu’à payer l’essence du générateur (400$/jour) et divers travaux sur le camp. Évidemment, la mairie ne voit pas tout ça d’un très bon oeil et a longtemps tenté de faire fermer le camp. La raison officielle était les normes de sécurité alors que personne ici ne s’inquiétait de devoir marcher sur le gros câble du générateur pour aller pisser.
On aimait encore plus le personnage quand, d’une jolie droite, il ouvrait l’arcade de Dave qui réclamait qu’on ne fasse pas la fête un samedi soir. Ou quand il refusait de parler aux représentants de la mairie et qu’il envoyait quelqu’un d’autre qui ne leur éclaterait pas la tête dans un étau. Ajoutant gratuitement « Ici, on est comme le Boston Tea Party, si j’étais propriétaire du terrain je les attendrais avec un fusil à pompe à l’entrée! Faut vraiment une très bonne raison en Australie pour que la police entre chez toi! » On ne sera pas étonné de retrouver le garçon accroché à son antenne pour y installer un drapeau de la révolution Eureka, une rébellion de mineurs Australiens il y a 2 siècles contre les taxes trop élevées du gouvernement.
Quelques semaines après notre départ du camp (suite à une évacuation de la police), nous avons appris qu’il s’était fait attrapé à Perth avec quelques millions de drogues sur lui. On savait qu’il pouvait facilement fournir un peu de tout mais on ne se doutait pas de telles proportions. Apparemment le camp était un peu la plaque tournante du commerce de stup’ à Port Hedland.
Ce type restera celui qui nous a le plus aidé en Australie. Le meilleur Australien qu’on ait rencontré assurément.

Cliff installe son drapeau

Cliff installe son drapeau

À l’opposé question affection, on retrouve Dave, un vieil Écossais rachitique, qui avait décidé de nous les briser dès notre arrivée au camp sous les tentes et qui n’a pas vraiment lâché le morceau depuis. Le type se vante d’avoir des maisons à Perth, des comptes remplis, etc. et vit… dans une caravane au milieu du désert. Si encore il avait des occupations… bon… à la limite. Mais il ne fait strictement rien de ses journées. Ah si! Il s’occupe de tes affaires. Je l’ai retrouvé un jour dans notre caravane, prétextant qu’il s’était perdu après avoir bien regardé où j’étais. Sorti manu militari avec menaces de cassage de dents il est revenu quelques semaines plus tard avec un de ses potes pour me casser la gueule. Finalement, on était 10 autour de la table, il a fini par repartir en menaçant de faire cramer la caravane. Soit. Ce n’était pas le premier qui nous faisait cette gentille proposition barbecue. Une demie-heure plus tard, nous retrouvions son homme de main accroché au mât du drapeau français, que Cliff nous avait dit de planter encore plus haut après que Dave l’ai déjà fait brûler une première fois. Le genre de gars qui ne fait pas peur mais qui est tout le temps là à t’emmerder. Une sorte de mouche à merde.

La première proposition barbecue-caravane nous avait été formulée par notre charmant voisin Grecque, souvent absent mais dont la présence est remarquée tant il a tendance à gémir au moindre décibel de trop. Eh! Bonhomme! T’as vu où t’habites? T’es pas à l’Ibis là. Il est vrai qu’il fût une période où les enceintes et l’alcool (voire les drogues pour les intéressés) étaient de sortie chaque soir jusqu’à point d’heure malgré que tout le monde travaillait. Nous avions instauré une règle d’or : si tu ne peux pas dormir, c’est que tu n’es pas assez fatigué. On finit par s’habituer aux enceintes à côté du lit.
Bref, pour revenir à notre Grecque, un jour où le courant sautait constamment, j’avais entrepris de débrancher les caravanes avec les clims qui tournaient sans personne à l’intérieur, dont la sienne. Du coup, il a voulu cramer la nôtre. Normal.
Nos discussions étaient donc assez brèves.

Notre caravane au premier plan, toujours en vie.

Notre caravane au premier plan, toujours en vie.

Allez on fait une courte pause dans les dégénérés pour parler de quelques voisins proches.
D’abord nos deux voisins des Tonga, deux frères. Ceux qui suivent un peu le rugby savent que « Tonga » évoque en général 120 kilos, du tatouage et des têtes à pas faire rire. Voilà, les mêmes. Un troisième larron arrivera sur la fin, encore plus costaud. Ils ont toujours un cousin ou un voisin qui est professionnel de rugby. Je crois que leur voisin a été champion de France avec Castres l’an dernier. Ce sont nos copains, tout va bien.

Un peu plus loin, Pete le kiwi, de Nouvelle-Zélande donc, 45 ans, pas loin d’être dans les dégénérés mais bien sympa. Une bière dans chaque main du lever du soleil au coucher du soleil … jusqu’à point d’heure. Un alcoolique qui n’a pas eu une vie bien marrante, c’est déjà beau qu’il soit toujours en vie pour nous raconter ses conneries. Après quelques heures, il devient carrément lourd quand même.

Un petit tour en Inde désormais avec Lal (et son pote Vijeh), petit gros moustachu qui n’arrête pas de parler de c.. Un bon client de la maison close à 300$ la passe à Wedgefield (la zone industrielle de Port Hedland). Très sympa, il nous laisse faire la fête juste devant sa caravane même quand il travaille le lendemain. Sur demande, on a parfois droit à une grosse marmite de curry. Pas pénible pour un sou, toujours en train de rire, mais copain avec tout le monde. Et dans un camp pareil, ça veut dire que tu n’es pas très franc.

Une autre espèce pas du tout en voie d’extinction dans cette ville : les obsédés sexuels. Deux Belges arrivés quelques mois après nous et qui se sont aussi crus à l’hotel Ibis. Toujours à se plaindre du moindre pet de travers, du bruit, du confort et de la qualité de l’air et pas foutus de serrer un boulon alors qu’ils travaillent dans la construction… Des champions du monde, branleurs fous dans tous les sens du terme. Pas moyen de faire une blague graveleuse sans les voir disparaître 15 minutes dans leur caravane… On aura appris récemment que l’un d’entre eux est toujours à Port Hedland à l’heure actuelle et qu’il est même très bien payé en tant qu’ouvrier qualifié (trade assistant). Un peu le symbole de cette ville : les boulots ne se décrochent pas au mérite.

On laisse les enfants de coeur et on s’en va maintenant de l’autre côté du camp, chez les vrais timbrés. Le cinglé en chef est Simon, le plus dangereux. Très sympa un moment, il peut revenir 5 minutes plus tard en menaçant de de tuer. Et tu l’en sens capable. Plusieurs témoignages sont venus corroborer notre ressenti. Défoncé sous Ice 24/24h, à éviter comme la peste. Dealer à ses heures perdues lui aussi. On a vécu dans ses bungalows un moment avant de comprendre qu’il fallait vite acheter une caravane.

Une autre partie du camp. Au fond, chez Simon.

Une autre partie du camp. Au fond, chez Simon.

Dans son entourage, un petit Serbe, Niemi. On l’a vu se momifier petit à petit. Également grand consommateur d’Ice, il a perdu petit à petit, et ses boulots, et ses kilos. Toujours resté sympa cependant. Un couple de Français a plus ou moins subi le même sort, ils sont partis du camp avant de finir trop mal. Un réflexe salutaire.

Une autre junkie, Tina, au visage cadavérique s’était amourachée d’un fugitif échappé pendant une permission que la police venait parfois chercher sans succès. Eh oui, il y avait quelques femmes dans ce gourbis. Mais quelles femmes…
Nicole, dit le cube, aurait apparemment payé ses loyers en nature pendant un temps. Avec son visage d’alcoolique et toute cette guimauve l’entourant, il vaut mieux ne pas encaisser de loyer du tout.

Et puis il y avait le clan des blacks, 50% sud-soudanais (c’est un nouveau pays mais déjà très en vogue ici), 50% ghanéens. Le plus fou était Daniel, un homme tellement imprégné de religion qu’il fût obligé de s’échapper nu par la fenêtre de sa caravane alors qu’il était attaqué par le Diable.

Un survivant du Diable

Un survivant du Diable

Enfin, pour abréger, deux lesbiennes habitaient l’entrée du camp et nous promettaient quelques soirées mouvementées quand, par exemple, l’une frappait sur la voiture de l’autre avec un bastaing.

Au milieu de tout ça, Zeus, 1m au garrot, le grand dogue allemand de Cliff, venait se tremper les roubignolles dans le bac à eau croupie derrière notre caravane avant de s’asseoir sur nos genoux quand il ne courait pas après les poules. Le générateur qui tournait jour et nuit pour les clims et les frigos assurait le bruit de fond et la poussière qui s’infiltrait partout était vite oubliée avec un pack de six entre copains. Car les copains dans des endroits pareils, c’est vachement important.

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Avec le recul, c’était usant. Le genre d’expérience que tu es heureux d’avoir vécu mais que tu ne recommencerais pour rien au monde. Tout ce qui reste aujourd’hui de ce camp est un champ de ruines avec toujours 3-4 irréductibles qui survivent grâce à un petit générateur. On est toujours un peu triste en passant devant, et on pense à Cliff, à l’ombre pour un bon moment, sans qui on ne serait pas là aujourd’hui.