L’Océanie, c’est fini

Ainsi s’achève la Nouvelle-Zélande, le pays du long nuage blanc (ou Aotearoa pour les érudits), des gentils Rangers et des animaux sympas.

Si vous êtes linguiste passionné, vous prendrez plaisir à découvrir la langue maori que les autorités essayent tant bien que mal de faire perdurer en traduisant tout et n’importe quoi. On retrouve ici, à un degré moindre, cette espèce de repentance éternelle qu’avait déjà le gouvernement Australien envers les aborigènes. Les noms des villages sont ainsi petit à petit remplacés par leur équivalent maori, ce qui ne facilite pas la tâche aux blanc-becs que nous sommes. Il faut ainsi se souvenir des Whanganui, Waipukurau, Whakarewarewa, Kaiapoi, Paraparaumu, Ngaruawahia. Tous les lieux ou institutions d’importance ont une double dénomination anglaise/maori, dont certaines ont dû donner du fil à retordre aux traducteurs (certains reprennent simplement la dénomination maori pré-colonisation européenne, d’autres comme le Department of Conservation font sourire).

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La première grande fierté kiwi est sa nature éblouissante et on peut leur accorder. Tout est verdoyant (ce qui n’a pas de prix après deux ans passées dans le désert du Western Australia), les hauteurs offrent des vues imprenables, et quand une certaine monotonie commence à s’installer, on découvre un volcan au coin du bois ou un lac, une rivière aux eaux couleur arctique. Nous profiterons de ces paysages pendant 2 mois, parcourant 4000km, de Wellington à Napier, de Gisborne à… bref, on a pas mal tourné.
Il est dommage que les Rangers se sentent systématiquement obligés de goudronner les chemins forestiers, encadrer et baliser tout ce qui leur tombe sous la main. Ça finit par gâcher le côté sauvage du pays. Dans le même genre, il est frustrant de voir toute cette verdure prête à accueillir nos tentes, cernée de clôtures. Mais on ne va quand même pas reprocher aux éleveurs de vouloir tenir leurs nombreux bestiaux… Car malgré les réticences des locaux à accepter ce fait, les moutons y sont toujours 8 fois plus nombreux que les humains aujourd’hui.

Nous n’aurons pas vu de kiwis. D’abord parce qu’on a pas voulu payer 20$ pour mater 25 kiwis en captivité sous lumière artificielle. On en a bien entendu quelques uns couiner autour des tentes mais on allait quand même pas se lever pour ça…
Pendant une bonne semaine on a cru être les témoins privilégiés d’un grand nombre de kiwis le long de la route, dont deux en vie, et des dizaines écrasés. Nous avons même plumé l’un d’eux pour garder un authentique souvenir du piaf le plus célèbre de Nouvelle Zélande. C’était jusqu’au jour où nous avons eu l’occasion de consulter Google et découvrir qu’il s’agissait de Wekas. Comme leur homologues kiwis, ils ne volent pas et sont menacés. Et ils adorent traverser la route. Ceci explique cela.
Ce qui fait la beauté d’un piaf, c’est de le voir voler, planer, gazouiller sur une branche. Là, donc, il couine, et si on lui donnait un peu d’élan il se transformerait en steak tartare.

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Le principal ennemi du kiwi est le possum, un rongeur introduit en Nouvelle-Zélande pour sa fourrure et qui y prolifère désormais joyeusement sans aucun prédateur, bouffe tout ce qu’il trouve et bouleverse l’équilibre naturel (je n’en sais pas plus, ne demandez pas de précisions). Pour le bouquet final, il est un des principal vecteurs de la tuberculose bovine. Ils le sulfatent donc au 1080 : le fluoroacétate de sodium. C’est visiblement la seule solution pour réellement calmer ses ardeurs, ce qui n’empêche pas certains écolos d’en demander l’interdiction sans proposer d’alternative viable.
D’un point de vue très personnel, le sulfatage me réjouit, ces sales petites bestioles ayant cru bon de faire une ouverture de 5cm dans ma toile de tente pour gratter un peu de pain de mie. Un bon possum est un possum mort.

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Notre dernière étape Néo-Zélandaise passera par Christchurch, le temps de s’arrêter chez Steve, un anglais émigré il y a deux ans qui nous offrira le gîte et le couvert mais surtout notre première douche depuis 36 jours. La couche était épaisse. Nous nous étions pour la première fois de ce voyage inscrit sur Warm Shower, un site d’hébergement gratuit dans la lignée de Couchsurfing mais dédié aux cyclistes.

Christchurch est une ville au look un peu spécial depuis le dernier gros tremblement de terre qui a secoué la ville en 2011. Des quartiers entiers ont été détruits, les édifices historiques restants sont souvent renforcés par des étais et poutres métalliques, et les containers remplacent les anciens garages, voire certains bureaux. Un vrai paradis pour Paul Krugman. Outre les nombreux morts, cela a également créé une grave crise du logement dans la ville qui n’a toujours pas recouvré sa capacité d’antan. Seul point positif, les places de parkings ne manquent pas…

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La suite du voyage devait s’inscrire sur les mers. Nous avions prévu de naviguer dans les eaux du Pacifique sud en voilier pour rejoindre le Chili. Sans expérience de navigation, sur une route peu empruntée et dangereuse, trouver un volontaire pour nous conduire s’annonçait ardu et le tour des marinas du pays et les diverses demandes éparpillées sur internet n’ont pas suffit. Il aurait fallu travailler dans une marina et multiplier des contacts plus solides, ou voyager sur un paquebot (ce qui coûte sensiblement le même prix que l’avion pour une traversée monotone d’un mois… non merci!). En trois jours, nous sommes passés de la traversée du Pacifique sud en voilier, à l’escale à Tahiti ou Hawaï pour finalement débarquer par avion… à San Francisco, où nous attendait Kristian, un ami Danois rencontré 3 ans plus tôt au Laos au cours de ce même voyage.




Si quelque chose devait me manquer, ce ne serait plus le vin, ce serait l’ivresse

Après deux ans d’Australie il n’est pas vraiment facile de vous parler du pays puisque nous étions rentrés temporairement dans la vie active et n’avons que très peu bougé. C’était surtout l’occasion de renflouer les caisses et du coup, de faire un peu le point sur ce qu’on a vécu jusqu’ici. Ça, ce n’était pas vraiment prévu en arrivant mais les souvenirs d’un an et demi sur les routes rejaillissent trop souvent pour ne pas voir ce qui a changé.

Alors que le projet mûrissait depuis des années, je me demandais les premiers jours du voyage ce que j’étais en train de faire, quel sens ça pouvait bien avoir. Tout en voulant absolument poursuivre, je ne savais pas trop ce que ça allait m’apporter. Ce sentiment a été à son paroxysme juste après la descente des Alpes jusqu’à complètement disparaître en quelques semaines. Au bout d’un mois j’ai vraiment su que j’avais raison de voyager quand justement, je réalisais que cela ne faisait qu’un mois alors que j’avais l’impression d’être parti depuis des années. Comment avais-je pu passer à côté d’un truc pareil pendant toutes ces années de routine? Le temps semblait ralentir pendant que je voyageais, j’étais quasiment capable de dire ce que j’avais fait chaque jour du mois précédent alors que j’ai l’habitude de ne pas me souvenir de la veille.

Jamais le même lit, la même ville, le même restaurant aux tables collantes (mais souvent le même plat), les mêmes paysages, habitants, langages, cultures, comportements, etc. Toutes nos habitudes sont bousculées quotidiennement. On découvre plus de choses en deux mois que les 20 années précédentes et ça envoie quand même un sacré électrochoc. On ressent régulièrement cette sensation lorsqu’on contacte les personnes restées en France : alors qu’on pourrait s’étaler pendant des heures sur ce qu’on vit, on se rend compte de ce qu’était notre ancienne vie, et maintenant, ça me fait peur. J’aurais pu rester en France dans mon dernier boulot, à 2000€/ mois. On m’a dit que c’était une bonne main pour un début de carrière, je n’y ai pas cru et j’ai tenté d’y aller au culot. Résultat, je me retrouve à avoir parcouru l’Europe, l’Asie, l’Océanie et très sûrement plus de chiffres sur mes comptes que si j’étais resté pendant tout ce temps là dans mon dernier emploi (entreprise qui depuis a viré le directeur d’agence et a connu la démission de nombreuses personnes… si c’est pas un signe ça?). Si je n’ai jamais été attaché à la sécurité de ma situation, je comprends que certains se soucient de la leur (un minimum hein, je parle pas de ceux qui rentrent dans la fonction publique dans ce but. Là on peut pas discuter) mais je ne crois pas pouvoir un jour rentrer dans ce cadre, surtout après un tel voyage. Je ne fais plus parti de ce monde là. Et puis les séjours au Laos et en Papouasie notamment, même si j’ai adoré le temps que j’y ai passé, m’ont confirmé que le manque d’initiatives et de changements est rapidement ennuyeux. En bref, les plans de carrière, le salariat et les communautés de décroissants, ça me fout les miquettes. J’ai besoin d’aventures, de risques, d’imprévu et un milieu où je ne peux pas me permettre de juste attendre bêtement que la journée passe.
Évidemment, on peut aussi se viander méchamment, c’est la vie. L’important c’est au moins d’essayer.

« Si nul ne prenait jamais de risques, Michel-Ange aurait peint les planchers de la chapelle Sixtine. » – Neil Simon

Voici un film que j’adore, que j’ai vu et revu sans me lasser, L’homme qui voulut être roi, avec Sean Connery et Michael Caine (le film préféré des deux acteurs, c’est dire s’il vaut le coup d’oeil vue leur filmographie respective). C’est l’histoire de deux aventuriers, anciens soldats de l’Empire britannique en Inde qui décident de partir au Kafiristan pour y devenir rois, avec la b… et le couteau comme on dit. Ils tiennent ce dialogue alors qu’ils s’apprêtent à mourir gelés en montagne :

-Peachy, je voudrais ton opinion. Est-ce que nous avons vécu bêtement?
-Eh bien ça dépend de ton point de vue. Je ne dis pas que le monde soit devenu meilleur de nous avoir vu naître.
-Ce serait exagéré.
-Et pas une larme ne coulera à l’annonce de notre trépas.
-De toutes façons je ne veux pas qu’on pleure.
-On a pas tellement de bonnes actions à notre crédit.
-Non. Pas de quoi se vanter.
-Mais combien d’hommes sont allés où nous sommes allés, et ont vu ce que nous avons vu?
-Pas tellement, c’est indubitable.
-Même maintenant, je ne changerais pas de place avec le vice-roi en personne s’il me fallait cracher sur mon passé.
-Moi non plus.

Aujourd’hui je ne sais pas ce que je ferai plus tard, quand cela s’arrêtera, où et comment je vivrai, je suis loin de tout ce que j’ai connu, et même dans le pires moments de galères je ne changerais pas de place avec le vice-roi en personne s’il me fallait cracher sur ma situation.

Bref, c’est bon l’aventure.