Une semaine à San Pedro La Laguna

Nous arrivons à San Pedro la Laguna vers 18h, ville pavée comme nos vélos adorent et nous chopons le premier blanc de la ville pour lui demander où trouver du wifi. Direction un des nombreux cybercafés. Le Guatemala a une couverture internet impressionnante comparée à son niveau de développement économique : le moindre petit bled a son hôtel avec wifi. La ville est agréable, très marrante à circuler. Les petites ruelles sont parfois à peine praticables à pied, on se faufile littéralement entre les immeubles où il faut souvent s’arrêter pour laisser passer un autre piéton courageux. Aucune enseigne publicitaire classique, tout est peint, même les rappels à la loi. C’est une tendance qui s’est étendue dans quasi toute l’Amérique Centrale mais qui est très marquée ici. C’est assez sympa. Les cybers par exemple ont une jolie peinture avec les logos Firefox, Facebook ou Google.

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L’église assure également sa promotion via la peinture. À chaque coin de rue des oeuvres géantes promettent l’enfer aux non croyants qui ont le choix entre 24 églises évangéliques et une église catholique (pour 15 000 habitants) pour trouver le salut.

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On ne compte plus les écoles d’espagnol. Tous les cent mètres, une école/hostel vous offre les meilleurs cours de la ville. Nous n’avons pas eu à choisir trop longtemps, nous avions pris la moins cher sur internet.
Nous tentons d’appeler l’école par Skype depuis un cyber, les micros ne marchent pas. Après quelques recherches, je tombe sur une petite boutique marquée « Se Alquila telefono » (on loue le téléphone). Comme quoi les vielles méthodes sont parfois les plus simples, et on réussit à joindre tout le monde pour 3 Quetzals (50 cents). Nous sommes dirigés vers notre école puis notre famille d’accueil. Nous avons pris une formule à 150$ (20$ de donation surprise se rajouteront au moment de payer, ça fait toujours plaisir d’être solidaire sous la contrainte) pour 4 heures de cours avec prof particulier pendant 5 jours, logement et nourriture inclus. C’est sans compter sur notre régime « ogre cycliste » qui nous oblige à manger aussi en dehors des repas grâce aux panaderias (boulangeries) locales. Eh oui! Il y a des boulangeries au Guatemala, on y trouve même parfois un rayon de « pan frances ». Bon, c’est pas vraiment ça mais c’est quand même génial tout ce qu’on peut faire avec du pain abordable (note aux boulangers : exportez-vous!)

Nous sommes hébergés chez Jose, Maria et leurs quatre enfants (de 2 à 12 ans). La maison est plutôt spartiate, et l’eau n’arrive du lac que les lundi, mercredi et samedi. Entre temps, on se sert des réserves. Ils semblent d’abord s’inquiéter de savoir si la chambre nous convient avant qu’on ne leur explique nos conditions de vie habituelles. Tout va bien, ils n’ont pas à rougir de leur habitation même si un minimum de bonne volonté améliorerait grandement la propriété. Ces gens semblent tous se contenter de ce qu’ils ont et passent des journées à ne rien faire si ce n’est se féliciter de leur mode de vie. Ils n’ont d’ailleurs aucune idée du monde en dehors de leur ville. On nous a successivement présenté avec fierté la pomme de terre, les tortillas, les avocats, les haricots comme si les occidentaux avaient l’habitude de se nourrir de croquettes.

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Lundi matin 8h, les cours commencent. Atmosphère détente, pas de programme précis même si le prof suit une espèce de ligne directrice qu’il adapte à notre niveau. On parle de participe passé puis de rugby, de gérondif et de bandits de la route. À 10h, pause casse-croûte. Cela dure presqu’une heure mais nous continuons de parler espagnol. Les cours se poursuivent ensuite jusqu’à midi et nous retournons prendre le déjeuner en famille.

Nous ne le savions pas avant de venir mais la ville est bardée de touristes chevelus qui donnent à la ville une espèce d’ambiance Woodstock végétarien. Nous nous tenons un peu à l’écart de tout ça, dans notre bulle. D’habitude, nous aimons bien rencontrer d’autres touristes dans les coins perdus. Si vous avez galéré comme un putois pour arriver à un point A et qu’un autre gringo a bien voulu se perdre tout autant que vous, il y a de grandes chances qu’une affinité se crée rapidement. Là, à part les cours d’espagnol, on a pas grand chose en commun avec les hordes de baba-cool descendus par vagues pour retrouver le paradis du saltimbanque. Les locaux semblent assez bien cohabiter avec tous ces touristes et restent souriants en toutes circonstances. Leur porte-monnaie en bénéficie aussi largement.

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Le lac d’Atitlan est vraiment joli, souvent décrit par les voyageurs comme une des merveilles de leur voyage. Cerné par les montagnes et dominé par trois volcans, son niveau monte et descend au fil des séismes qui touchent le pays (ou selon un calendrier « magique » selon les Mayas, chacun son truc). On peut évidemment s’y baigner, même si l’eau est assez rafraîchissante à 1500mm d’altitude et que les locaux n’ont aucun mal à jeter toutes leurs saloperies dedans. Une fois de plus dans un pays sous-développé, ce ne sont pas les touristes qui polluent le plus, mais les locaux. Beaucoup prennent par exemple leur bain dans le lac et laissent systématiquement trainer les échantillons « Head & Shoulders » sur le rivage. Un soir, alors que nous abordions le problème de la pollution avec les responsables de notre école, ceux-ci cherchaient à dédouaner la population par quelques sauts rhétoriques mal venus. Par exemple, si vous achetez une canette de Coca-Cola et que vous la balancez comme un malpropre sur la chaussée, Coca-Cola serait en parti responsable. Et puis, ils ne savent pas comment gérer la problème des déchets plastiques car il n’existe pas de mot en Tzuturil pour « plastique ». Oui, oui, nous aussi avant d’inventer le mot on ne le connaissait pas. Dans tous les cas, ça n’empêche pas de voir que la rue est pleine d’immondices quand on agit comme un sagouin.

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Pour le reste de la semaine, les progrès linguistiques ont été assez épatants pour seulement 5 jours de cours. Le fait d’avoir de bonnes bases avant d’arriver (45h de cours audio sur le vélo) a tout de même grandement aidé.

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Ce genre d’expérience est aussi un des nombreux avantages de notre voyage. On peut se permettre de s’arrêter quand on veut pour une somme modique et améliorer nos compétences. Typiquement le type de connaissances que nous n’aurions probablement jamais acquis si nous n’étions pas partis. Quand la routine du boulot prend le dessus, on a toujours mieux à faire que d’apprendre une nouvelle langue ou lire 2 bouquins par semaine. Je remarquais il y a quelques semaines que nous nous parlions en français, que nous discutions avec les locaux en espagnol (+ les cours de ces derniers jours), nous écoutions des audio books en anglais sur les vélos et prenions des cours Pimsleur d’allemand pour l’un, russe pour l’autre, toujours en audio. Moi qui me suis toujours considéré comme une grosse quiche en langues, j’ai fait quelques menus progrès. Des progrès que je jugeais impossible il y a quatre ans ne sont aujourd’hui qu’une base pour en apprendre toujours plus. Partir permet de découvrir de nouvelles cultures mais aussi de s’aérer l’esprit, le préparer à d’autres défis, voir plus loin. Pour nous c’est clair, le voyage nous a permis de progresser physiquement, intellectuellement et mentalement. Le sport fait parti de notre quotidien et on s’en passe difficilement. Chaque arrêt est l’occasion de remarquer à quel point notre corps demande à repédaler. La tête est parfois un peu réluctante. Le mental, on aura l’occasion d’en reparler.




En route pour l’Amérique Centrale

La fin du Mexique se profile sûrement mais lentement, à cause d’un vent de face particulièrement persistant. Cela devient tellement violent que nous sommes parfois forcés de nous arrêter tous les 50 mètres pour voir ce qui arrive derrière. Quand le vent nous pousse sur l’accotement, on exerce la force inverse en direction de la route pour rouler droit et si un camion passe à ce moment là… on risque d’embrasser les roues. C’est l’histoire de Paf le cycliste! Heureusement, la rou(t)e tourne et le vent se transforme petit à petit en avantage.
Les premières ruines Maya sur notre chemin, trois mini pyramides qui se courent après, nous confirment que les sites archéologiques ne méritent pas systématiquement un détour, surtout en vélo.

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Typiquement le genre d’endroit que nous visitons uniquement si ça se trouve à moins d’1km. Alors, si, on visite, toute la journée. Mais pas forcément les coins célèbres, historiques ou « immanquables ». Pendant 80 ou 100km par jour, nous voyons ce qui est joli, mais aussi ce qui ne l’est pas. On aura pas vu Chichen-Itza ou Mexico (ça fera l’occasion d’y retourner) mais on sait par exemple que les Mexicains n’ont rien à envier aux Chinois dans le concours du jet d’ordures en pleine nature et que leur musique est restée bloquée aux années 70. Et ça, c’est pas dans le guide du routard.

Enfin, nous atteignons la frontière du Guatemala. Notre première frontière terrestre « vivante » depuis celle entre l’Indonésie et la Papouasie Nouvelle-Guinée il y a 2 ans et demi. Tout ce bordel ambiant, les arnaqueurs de tampon, les agents de change avec leur calculette, ça finit par manquer. Côté mexicain d’abord, un premier gentilhomme me stoppe afin de m’avertir de la montagne de démarches douanières pour sortir du pays et je me vois aussitôt proposer un guide pour 300 pesos qui va m’aider à travers les méandres administratives à effectuer… dans la case en contrebas de la route. Ils sont mignons. On rigole un bon coup et reprenons le chemin jusqu’à la vraie frontière. Avec ces charlots, on en arrive à être méfiants jusque dans le bureau des douanes. La règle de base est qu’il faut discuter tout ce qui n’est pas affiché noir sur blanc. Ça nous a valu de perdre 30 minutes en entrant au Mexique, mais au moment de payer, on avait impliqué 3 locaux dans le deal qui nous confirmaient alors qu’il n’y avait pas d’entourloupe. Cette fois, rien de tout ça puisqu’on ne nous demande rien. Un coup de tampon et adios amigos!

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L’autre pays maintenant. Rien qu’au loin, ça semble le merdier. Des dizaines des changeurs de cash se dirigent vers les deux pigeons blancs en faisant claquer leur liasse de billets, pendant que d’autres nous invitent à faire tamponner nos passeports pour une somme modique, entre deux tuc-tucs. On sait depuis longtemps que s’il y a tuc-tuc, il y a embrouille. Nous cherchons le vrai bureau d’immigration pendant 5-10 minutes, toujours entourés des mêmes marchands de tapis, malgré nos refus répétés. Une fois devant le bureau, nous devons y aller chacun notre tour pour surveiller les 10 chicos qui rôdent autour des vélos. Ils comprennent enfin qu’ils n’obtiendront rien de nous et les discussions deviennent plus amicales, moins pécuniaires. Passeports tamponnés, bis repetita, rien à payer. Certains ne perdent pourtant pas espoir et nous proposent tout de même un deuxième coup de tampon de leur fabrication. Au cas où on ne soit pas sûrs du premier?

Les frontières terrestres marquent presque toujours une différence notable entre deux pays à la culture pourtant similaire. Celle-ci ne déroge pas à la règle. Les gens sont plus souriants au Guatémala, les maisons plus finies qu’au Mexique, les jardins mieux tenus, la densité de population a doublé, les cochons traversent la route au milieu des village, certains prix de base ont augmenté de 50% (sauf les hôtels), internet y semble dix fois plus répandu et les stations essence ne sont plus un monopole d’État. On se croirait presque perdus en Asie du sud-est. Les bords de route, d’abord plus propres, finissent petit à petit par copier le modèle mexicains. On peut le dire : les Guatémaltèques ne sont pas plus concernés par la nature que leurs voisins malgré les menaces d’amendes réitérées. On voit ou sent juste moins de chiens transformés en hiéroglyphes qui puent le crevé sur 50 mètres. Je vous laisse imaginer la sensation quand il faut reprendre votre souffle dans ces conditions. Le genre de petit détail qui ne marque étonnamment que les cyclistes…

Les cultures changent aussi. Les champs de canne à sucre se font plus nombreux et les caoutchoutiers font leur apparition. Les shotguns semblent pousser un peu partout également. On avait déjà l’habitude de voir des armes à feu dans les stations services au Mexique mais la mode est ici au fusil à pompe, entre toutes les mains. Dans les stations services également, systématiquement surveillées par un civil armé d’un fusil à pompe, mais aussi les arrêts de bus, les supermarchés, les petites tiendras où ils vendent 3 tortillas et 2 boissons. Tout le monde est prêt au combat. Les chantiers de construction arrêtés sont étonnamment surveillés de la même façon. Je ne sais pas si c’est rassurant ou non, on a en tous cas pris l’habitude.

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Notre première destination au Guatemala est San Pedro La Laguna au bord du lac Atitlan où nous devons passer une semaine dans une école pour perfectionner notre español. Aucune route ne nous fait franchement envie, il faudra de toute façon se taper au minimum 1500m de dénivelés. Notre première tentative est un échec absolu. Nous avions repéré un chemin sur Googlemaps qui coupait court dans la montagne. Après 3km de montée pavée, un local nous arrête pour nous prévenir des dangers de la route : il y a des bandits sur le chemin et la route, si elle existe, n’est qu’un chemin pour randonneurs/escaladeurs. On sait ce que vaut la parole d’un local sur l’état des routes dans ces pays : pas grand chose. Nous sommes méfiants et demandons à d’autres locaux. C’est d’abord impossible puis possible. Parfois des voitures peuvent passer, parfois non. Après réflexion, on se décide à rebrousser chemin (ce n’est pas la première fois que Googlemaps nous fout dedans et quelques souvenirs fatigants remontent à la surface) et à reprendre la route principale à regrets : cette route est bondée et l’incessant cortège de camions et de pots d’échappement vous balancent un mal de crâne lancinant. Une rivière arrive à point nommé pour nous décrasser de 5 jours de transpiration et nous détendre les guibolles. Soudain, le chemin vers Patulul devient plus calme et nous avons l’impressions de revivre, même s’il faut grimper un peu. Nous attaquerons la montée le lendemain après s’être battu, comme tous les soirs, avec des fourmis de 10mm.

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Une montée de 22km sans discontinuer et un bitume fortement dégradé jusqu’au lac alors que les routes du Guatemala sont en général assez bonnes. Il restait d’après un papi exactement 19km jusqu’à San Pedro La Laguna (il y en aura plus de 35. Quand on vous dit que leur avis sur la route ne vaut souvent rien…). En cours de route, un autre vieux Guatémaltèque nous prévient de la présence de bandits et tente de nous vendre une traversée en bateau. C’est sûr, il cherche à nous faire peur pour rien. Nous faisons 5km de plus et la route se transforme en chemin poussiéreux et pentu plein d’ornières. Nous poussons les vélos sur 3km et croisons une voiture de flic qui semblait escorter un bus. Il nous enjoint lui aussi à quitter la route à cause des bandits et à faire le parcours en voiture. Merde, c’est pas des cracks!

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Bon, on va pas faire demi-tour maintenant. On avance mais on a un peu les miquettes, d’autant qu’il est 16h et qu’on ne croise plus une seule voiture pendant une bonne demi-heure. Nous scrutons au loin, chaque bruit, chaque branche qui craque nous fait sursauter. Ça ne sert à rien mais on est aux aguets. Nous dépassons les 2000m, le bitume est revenu depuis un petit moment, des voitures! Enfin! D’autres flic nous croisent sans rien dire, on a dû passer le danger, on se détend. On est tellement détendus/fatigués que je fonce dans Alex en pleine descente. Seule ma sacoche s’arrache. Il est temps d’arriver à San Pedro après 5h de vélo à 12km/h et plus de 2000m de dénivelés. Sans doute une des journées les plus éprouvantes physiquement. Demain les cours commencent et il faut maintenant réussir à trouver notre guide dans la ville avant cette nuit.
Mais par rapport à tout le reste, ça s’annonce über easy!

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