La Russie, le froid lui va si bien

Heureusement, il ne fait que -10˚C à Ekaterinburg. Notre visite de la ville en vélo est donc plutôt agréable et la fraîcheur des dernières semaines nous permet même d’enfourcher nos montures sur le réservoir gelé traversant la ville sur lequel quelques pêcheurs tentent d’attraper un peu de friture. Les trottoirs sont recouverts d’une couche de glace permanente où tout le monde joue son numéro d’équilibriste amateur le nombre de poignets pétés en période hivernale doit littéralement décupler! Ekaterinburg, nommée Sverdlovsk jusqu’en 1991 est beaucoup plus jolie que ses habitants veulent bien l’annoncer et si elle a été le dernier lieu de vie du tsar, personne ne recherche plus la princesse Anastasia qui serait depuis le temps bien défraîchit. De toute façon, un tsar, ils en ont trouvé un nouveau en la personne du président. Nous avons souvent eu l’occasion de constater la popularité de Vlad’, surtout hors de la capitale où les gens ont tendance à l’aimer en grande proportion. Il faut dire qu’il fait preuve d’une communication hors pair qui me fait personnellement franchement marrer. Des tee-shirts avec Poutine dans des situations plus rocambolesques et glorifiantes les unes que les autres sont à vendre un peu partout en Russie. On a trouvé des admirateurs jusqu’au Kazakhstan où les filles tapaient parfois du poing sur la table en s’écriant « Ça c’est un homme!« . Bref, une icône dans son genre comme pouvaient l’être certains de ses illustres prédécesseurs.

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Nous sommes restés quatre petits jours sur place et notre seule sortie nocturne en pleine semaine s’est soldée par une céphalée évidemment provoquée par un Russe un peu trop hospitalier à coups de « mètres de whisky ». On aura cette fois au moins échappé à la vodka.

Vues les distances et les conditions climatiques, les voyages entre les villes s’effectuent toujours en train et la première difficulté est de faire accepter les vélos par la vielle responsable des wagons, une gueularde par pure tradition. Il est possible de payer un supplément « Velocipede » au guichet (environ 2€) en prenant les billets mais ça ne change rien au cirque qu’elle nous fera tout le parcours. Notre technique favorite est donc de monter les vélos pliés dans le wagon, la mettre devant le fait accompli et lui demander où nous les mettons. Une fois dedans, c’est trop lourd pour que la bruyante les descende seule. Elle viendra ensuite régulièrement nous demander des les bouger, même en pleine nuit. Il faut l’ignorer le plus souvent possible et surtout, mais surtout, ne pas avoir le malheur de sortir quatre mots de russe ou elle vous considère immédiatement bilingue et braille de plus belle!

Une fois ce petit détail « réglé », il faut désormais rentrer dans un état de léthargie pour supporter l’atmosphère nauséabonde de renfermé du wagon et la température oscillante entre 27 et 35˚C quand il fait -10˚C à l’extérieur. Et pas moyen d’ouvrir la fenêtre sans qu’une baboushka (vieille russe) hurle qu’il fait trop froid! Bref, il faut prendre son mal en patience pour les 20 heures de trajet et dormir le plus possible.

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Nous bougerons dans les mêmes conditions joyeuses à Moscou puis Saint Petersburg, deux villes magnifiques dont le charme ressort sans doute encore plus l’hiver. Mais Moscou s’est snobifiée depuis mon dernier passage il y a quatre ans. Un ressenti confirmé par tous les Russes qui nous ont conseillé de passer moins de temps dans la capitale et de ne carrément pas voyager l’hiver en Russie. Conseil contestable : on y croise beaucoup moins de touristes et la neige apporte un plus indéniable. Moscou, été comme hiver, mérite dans tous les cas qu’on y fasse une halte un jour ou l’autre.

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C’était ma première à Saint Petersburg, anciennement Petrograd puis Leningrad et enfin surnommée amicalement « Peter » jusqu’à aujourd’hui (la ville a eu 14 noms différents. Les Russes ont à ce propos une culture des surnoms assez amusante où chaque prénom a un ou plusieurs dérivés. Nous savions depuis notre premier passage qu’Alexandre se transformait en Sasha, j’appris cette fois que Grégory pouvait permuter avec Grisha. Merde, presque comme Bogdanov!
On trouve dans l’ancienne capitale impériale des tsars des métros creusés à près de 100 mètres sous terre, une tradition d’URSS qu’on retrouve aussi à Moscou et à Kiev. La descente interminable des escalators donne parfois le vertige avant parfois d’arriver sur le quai de véritables oeuvres d’art architecturales. En ville, on se lasse difficilement de longer la Neva et d’admirer les édifices pré-soviétiques disséminés un peu partout. Je ne m’étale pas, j’ai peu de photos potables, mais je recommande.

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Suite à ces quelques milliers de kilomètres de voyages ferroviaires et urbains, nous reprenions le vélo à Bryansk en direction de l’Ukraine après quasi trois semaines d’hibernation. Le manque de confort est tout de suite plus aigu avec ce froid agrémenté d’un vent frontal tenace. Le plus remarquable avec le vent de face, c’est qu’il reste toujours de face après un virage à 90˚C. On a souvent envie d’insulter mais on ne sait pas vraiment sur qui s’énerver… Alors on force, on s’arrête, on marmonne quelques jurons, on reforce et on a l’impression de finir la journée épuisé pour rien. Au moins en montagne, on comprend l’effort, on peut même aller jusqu’à l’apprécier.

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Quelques jours de camping et de galère plus loin, nous entamons notre dernier jour de visa avec l’objectif de passer la frontière ukrainienne dans l’après-midi. Au petit déjeuner, deux flics viennent s’enquérir de nos identités et repartent en nous souhaitant une bonne journée. Nous les retrouvons deux heures plus tard, à 40km de la frontière pour un nouveau contrôle, mais cette fois, il faut les suivre à la maison Poulaga pour qu’ils nous tirent le portrait. Bien, bien, bien…

Sevsk et la poste de police en arrière plan

Sevsk et la poste de police en arrière plan

Au poste de police de Sevsk, dans un petit bureau miteux, les étagères rouillées, des piles de papier partout, des portraits robots scotchés aux murs qui datent de Mathusalem, un calendrier de 2006 et, un portrait géant de Djerzinski, l’oeil toujours plein de bienveillance. Connaissant un peu le bonhomme, ils mettraient Goering dans les commissariats allemands que ça me choquerait pas tellement plus. Outre cet intéressant mobilier, six ou sept personnes défilent dans le bureau, posent quelques questions en russe, nous disent que c’est la guerre en Ukraine, qu’on va nous demander 3000$ pour y rentrer, etc. Moi, j’ai 30 balles en poche si ça intéresse les Ukrainiens. On a beau leur dire que la bagarre c’est au sud-est que ça se passe, rien à faire, non seulement on ne peut pas partir mais on ne nous dit pas ce qu’on compte faire de nous (et ils parlent encore moins anglais que moi russe, c’est dire…).

Il est midi passé, ça fait deux heures qu’on se raconte des conneries en français pour passer le temps et notre visa se termine bientôt. Nous contactons l’ambassade qui nous passe le consulat « ah bah vous faites bien d’appeler maintenant parce que dans une demie-heure on ferme et on ne pourra plus vous aider ». D’accord mais je prévois pas mes emmerdes en fonction de vos horaires d’ouvertures moi… Bref, la gentille dame fait office d’interprète et nous précise que nous n’aurons pas de problèmes pour rentrer en Ukraine mais que des « bandits » sont présents sur la route de Kiev et vont nous braquer. Les policiers russes estiment même à 90% nos chances d’y rester, ils disent avoir des rapports tous les jours de ce genre d’incidents. On commence à les prendre un tantinet plus au sérieux. Il reste quelques heures pour sortir du pays et notre solution la moins risquée est de se rendre à Suzemka, seconde bourgade pleine de vie à 40km de là et de prendre un train pour Kiev. Nous effectuons la distance en plus de quatre heures à cause du vent et je fonce au guichet à 17h pour demander le prochain train pour Kiev : « tchitiri zavtra outrom! » (demain matin 4h). La petite fenêtre du comptoir s’est violemment refermée avec toute la politesse qu’on est en droit d’attendre de la préposée russe.

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J’enchaîne avec le bureau de l’immigration qui commence à m’expliquer l’amende que je vais prendre… avant de me dénicher un train qui traverse simplement la frontière à 23h50! Nous achetons immédiatement les billets et passons prendre une bière pour se détendre après cette journée inattendue. Les flics du bled ont en revanche beaucoup de mal à se décontracter et vont même jusqu’à aller nous chercher dans le bar pour vérifier que nous avons bien nos sésames pour l’Ukraine. Nous serons guidés et escortés jusqu’à ce que nous soyons dans le train où il fait, sans surprise, pas loin de 40˚C.

Et c’est ainsi que nous nous retrouvons à passer la veillée de Noël dans une gare pourrie d’Ukraine en compagnie d’une famille Moldave tout juste expulsée de Russie. On relativise vachement plus sa situation d’un coup. Et puis, on avait prévu un campement dans la forêt dans le meilleur des cas… c’est pas si mal les sièges en plastique dur.

Florian décide d’attraper un second train pour Kiev le lendemain matin (plus parce qu’il a décidé d’arrêter le voyage en vélo depuis quelques jours que par peur) alors que je décide de d’abord vérifier la situation avec les autorités du pays concerné avant de poursuivre. Pas de souci, il n’y a visiblement aucun bandit mais on vérifie tout de même mon passeport un bon moment au cas où un terroriste/clandestin/évadé se présenterait spontanément à la police pour demander un renseignement…

Je pédale donc les 350 derniers kilomètres jusqu’à Kiev sans braquages, passant deux check-point militaires sur de minuscules départementales et beaucoup de voitures de police par la suite. Suis-je passé dans les 10% de chanceux? Vus ma vitesse et les témoignages recueillis, je ne crois pas. La police russe semble faire un peu de zèle avec la situation de leurs voisins. Finalement, mon seul ennui fut de me réveiller sous ma tente avec 10cm de poudreuse et de rouler toute une journée sur une route enneigée/verglacée avant que les chasses-neige n’ait eu le temps d’intervenir. Sur le coup on gueule mais ça laisse de bons souvenirs pour la suite.

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Quelques jours plus tard, j’atteignais la capitale ukrainienne en début de soirée où le premier changement se faisait vite remarquer : on y vend aussi des portraits de Poutine mais imprimés sur du papier toilette!




Kazakhstan, la route vers la Sibérie

Après un court épisode à trois, nous voici repartis à deux en direction du Kazakhstan suite à la dernière défection d’Alexandre. Nous quittons Bishkek sans grand regret et passons la frontière kazakh après un dernier reniflage des vélos par un cocker kirghiz. J’avais toujours affirmé jusqu’à maintenant qu’on pouvait passer de la drogue à presque toutes les frontières terrestres pourvu qu’on soit à vélo. Jusqu’ici donc.

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Cinq kilomètres de vélo après les habituelles formalités tamponières, un type me fait signe de m’arrêter depuis son gros SUV et semble agiter un billet de Benjamin Franklin. Je stoppe, il ouvre la fenêtre et me tend 100$. Il déconne ou quoi?! Il insiste, je le prends, faut pas être fou non plus.

Cinq cent mètres plus loin, le même luron nous invite au restaurant puis chez lui pour la nuit. Abaï, la cinquantaine, est un chef trois étoiles des douanes kazhak, type mâle dominant hyperactif et nul besoin d’avoir beaucoup de vocabulaire pour s’entendre avec lui, il suffit de porter un toast en français à chaque shot de vodka. Abaï a trois femmes (la dernière a 25 ans et est bidochée comme un avion de chasse), et toutes sont au courant du cirque qu’il mène dans ses différents foyers. Au cours de la soirée, nous lui expliquons que nous souhaitons nous rendre à Aktau mais que le temps va peut être nous manquer.

-Vous avez combien de temps de visa?
-Un mois.

Il prend aussitôt son téléphone et appelle « Allo, la frontière? Vous avez vu passé deux cyclistes Français aujourd’hui? Oui, bon, alors vous leur mettez deux mois de visa. »
Il se tourne alors vers nous : « Voilà alors si vous avez un problème, vous leur dites de m’appeler. À Aktau, tout le monde va se mettre au garde à vous ne prononçant mon nom » dit-il en tapotant trois doigts sur son épaule pour symboliser ses étoiles de gradé. L’occasion d’un n-ième toast.

Après une bonne nuit de repos dans une chambre de 40m2, nous retrouvons Abaï au petit déjeuner à 8h du matin et remarquons immédiatement le petit verre de vodka à côté de l’assiette d’oeufs au plat. Allez, on en prend un pour lui faire plaisir et c’est marre. Une heure plus tard et six shots supplémentaires, nous repartons sur nos vélos en titubant, nous venons de goûter à l’hospitalité kazakhe. C’est pas désagréable tant que ce n’est pas trop récurrent.

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Le reste du parcours jusqu’à Almaty n’a pas grand intérêt mise à part une chaîne de montagnes enneigée au loin. La ville non plus ne présente pas un grand attrait mais sera le lieu d’une décision importante pour la suite du voyage. Comme je gardais un excellent souvenir de la Russie et que la route du sud via la Turquie me tentait un peu moins (principalement à force d’y penser car j’adore changer mes plans), je faisais part de l’idée à Florian autour d’une bière quand une Russe passais près de nous et me jette un regard qui qui ne requiert aucune explication supplémentaire. Nous irons donc en Russie, malgré les conditions et délais pour obtenir un visa russe depuis l’étranger. La ville d’Almaty est moche, mais il y a pire endroit pour attendre.

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Puis vint le jour de la reprise avec un départ pour Balkhash, 600 km plus au nord. Notre visa se terminait deux jours avant la sortie prévue par le train mais nous comptions sur le joker « Abaï » pour faire avaler la pilule aux douaniers. Une heure avant de partir, je vérifie tout de même ce que vaut un « overstay » au Kazakhstan. En Asie on prend généralement 10$ par jour d’amende et nous n’avions rien eu en Australie pour une semaine. Bien m’en a pris, ici c’est plutôt 15 jours de prison et 1000$ d’amende négociable à 300 avec un douanier conciliant.

Nous fonçons au bureau de l’immigration d’Almaty pour officialiser la prolongation orale de notre ami avant notre départ : NIET. Ils se foutent comme de leurs premières dents que nous connaissions un gradé des douanes. Notre dernière solution consiste à retourner au Kirghizistan et repasser au Kazakhstan dans la foulée afin d’obtenir un nouveau visa gratuit de 15 jours. Et pas moyen de leur expliquer qu’une prolongation de deux jours serait plus simple que de faire 600km dans la journée. Dura lex sed lex. Donc, Almaty-Bishkek-Almaty en 8h par minibus/taxi et pour 15$ chacun, on ne s’en tire pas trop mal.

La reprise du lendemain est dure, on s’est arrêté trop longtemps croquer la vie dans l’ancienne capitale kazakhe et les jambes n’y sont plus (il parait que les pommes du Kazakhstan sont les originelles, le serpent est encore passé par là). Nous pédalons environ 300km au milieu des immensités prairiales et nous n’avons que l’embarras de choix quant aux emplacements de camping le soir venu.

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La route est plutôt agréable mais nous n’avons pas le temps de rejoindre notre train à Balkhash à ce rythme. Nous effectuerons donc la moitié du parcours en stop grâce à un gentil camionneur russe qui accepta de prendre nos deux vélos sur la remorque au milieu de la pampa et nous faire faire les 300km restants.

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Au fur et à mesure de la route, la neige s’épaissit et nous arrivons à Balkhash sous un temps très sibérien. Les habitants écarquillent les yeux en voyant passer deux abrutis par ce temps et dans ce bled sans intérêt aux allures toutes soviétiques.

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Le reste du chemin pour atteindre Ekaterinburg se fera sur les rails, pas le temps ni l’envie de se taper 2000km de mornes étendues à fredonner le chant des partisans et le vol noir des corbeaux sur les plaines pour se mettre dans l’ambiance. Les trois dernières nuits sous la tente à -10˚C ont quelque peu freiné notre motivation hivernale.
Le premier train jusqu’à Astana vient de Bishkek avec un personnel kirghiz et aucune surprise de ce côté là, ce sont des cons. Nous savons que les provodnitsa (vieilles responsables de wagon en ex-URSS) ont un don particulier pour rouscailler en permanence mais on est toujours un ton au-dessus dans la méchanceté avec ceux-là.

La passage de la frontière viendra confirmer notre choix d’avoir refait un visa car nous sommes immédiatement soupçonnés de… terrorisme. Ça faisait bien depuis le Kenya qu’on me l’avait pas faite celle-ci! Deux barbus qui rentrent par la terre, dont un avec une chemise « africaine » et qui arrivent d’Iran où ils ont passé six semaines, ça vaut bien trois personnes successives pour les interroger dans le train à 4h du mat’. Bon, ils ont été sympa, ça s’est bien passé et vues les circonstances on ne peut pas leur donner tort de se méfier pour une fois. Quand je vois le genre de cerveau qui a organisé les attentats, ils seraient bien aussi capables de se faire gauler à la frontière…

Nous voici désormais en Russie où une épaisse poudreuse recouvre la campagne. Une semaine avant notre arrivée, les températures atteignaient les -24˚C à Ekaterinburg, je crois que le vélo attendra encore un moment…

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