Le golfe arabique, de Salalah à Doha

Salalah. Je n’en avais jamais entendu parler avant de regarder les billets d’avion depuis Nairobi. Cette « petite » ville au sud de l’Oman était la destination la plus proche du Kenya après le refus de mon visa éthiopien et tout ce que je savais en arrivant était que j’arrivais à la pire saison pour voyager en Oman, qu’un désert de 1000km me séparait de Muscat, la capitale Omanaise, et que je suis en plein mois du Ramadan pendant lequel il est illégal de manger et boire en public sous peine d’amende. Oooooh les belles conditions!

Le désert, tous ceux qui m’en parlaient me promettaient l’enfer et un couple de cyclistes Suisses qui avait préféré le faire en voiture m’avait même averti de terroristes venant du Yemen et de villages assez éloignés les uns des autres pour que je me dessèche au milieu. J’hésite même lors de mon escale à Sharjah à ne pas prendre mon deuxième avion car je ne vois pas l’intérêt de descendre tout au sud du pays pour remonter en stop au nord…

Et puis je suis tout de même arrivé à Salalah, à 21h. Je ne connais personne, ne sais pas où aller et je finis par me trouver un coin camping dans le lit d’une rivière asséchée où j’ai pu constater que le taux d’humidité allait sans doute être bien pire que la chaleur elle même.

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Au matin, je me promenais dans une ville jolie mais close pour cause de Ramadan, les premières enseignes n’ouvrant que vers 10h. Je trouve immédiatement l’architecture arabe très soignée, fine. C’est travaillé mais sans excès. Le tout dégage une impression de pureté et leurs mosquées sont magnifiques.

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Je découvrais avant de partir le nouveau nom de Mc Donald’s et les salles de prière dans les supermarchés, une pour chaque genre, puis je m’informais dans une station de police des conditions sous lesquelles je pourrais boire et des différentes options routières dont je disposais. Après un accueil assez froid, la tolérance alimentaire pour les cyclistes semble être de mise (disons que je ne risquais pas de me retrouver en prison pour un sandwich, sauf à les provoquer bêtement) et il semble n’y avoir qu’un seul chemin possible : la route principale. Eux aussi me prenaient un peu pour un fou mais je voulais de plus en plus relever le défi. Surtout qu’il n’y avait visiblement aucun risque yemenite.

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Je partais ainsi vers midi – comme chacun sait, l’heure idéale pour pédaler sous la chaleur… – en direction de Muscat, 1040km plus loin, ainsi que l’indiquaient les premiers panneaux. Harnaché de 20 litres d’eau, j’ai rapidement prié pour que la montagne de 700m après la ville ne se répète pas trop souvent et se transforme en une route d’huile. Et Allah m’entendit gémir puisque les 1000km suivants se feront sur du plat, vent dans le dos et sable dans les yeux, ce qui contribuera avec la chaleur à achever mon appareil photo et faire exploser trois fois ma chambre à air pendant mes siestes. Sur ce coup là, Allah fut toujours tout puissant mais déjà beaucoup moins grand.

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Le deuxième jour allait voir mon enthousiasme s’évaporer après 208km sous le soleil du désert. À 16h30, je m’arrête pour une courte pause, pensant poursuivre mon effort jusque tard le soir. Je m’installe dans le seul coin d’ombre possible, sous la route, et me réveille une heure plus tard perclus de crampes, de vertiges et auréolé d’un mal de tête divin qui durera trois jours. Je me souviens avoir dévoré mon paquet de sucre avant de m’endormir pendant 12h à même le sable. L’insolation stupide. Le con qui roule va plus loin que l’intellectuel assis mais n’oublie pas qu’il est con avant tout.
Les jours qui suivirent furent donc beaucoup moins drôles et je pensais même plusieurs fois abandonner tellement j’avais à souffrir du soleil. Les quelques stations services et mosquées m’offraient un oasis salvateur pour remplir mes réservoirs d’eau, et les tunnels d’évacuation sous la route (où se cachait aussi serpents et scorpions d’après les dires des locaux) un refuge pour l’après-midi où je peinais à dormir tant il faisait chaud. Les mosquées sont très souvent équipées de filtre à eau fraîche : j’en ai parfois presque fait dans mon pantalon en apercevant ces robinets!

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Vues les difficultés endurées, la question à mille francs était de savoir s’il fallait mieux manquer de sommeil en pédalant tôt le matin et tard le soir, ou mieux dormir et rouler plus longtemps sous la chaleur. Comme souvent dans de nouvelles conditions on met 4-5 jours à trouver son rythme. Le mien était alors de faire 50-60km le matin de 6h à 10h puis de recommencer vers 18-19h pendant 30-40km.

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Si j’ai eu à souffrir de la chaleur, j’ai aussi bénéficié de la pitié/bonté/hospitalité des locaux qui n’ont cessé de s’arrêter pour m’offrir de l’eau fraîche, des dattes, des fruits, des sodas, des gateaux, etc. Parfois presque de force quand mes sacoches étaient déjà pleines. On me proposait parfois de l’argent, ce que je refusais. Les Omanais (puis les Émirati par la suite) sont très polis, extrêmement généreux et cette gentillesse se reflète aussi dans les nombreuses populations immigrées du pays : Indiens, Philippins, Pakistanais. Perdu au milieu des étendus de sable, cela a un côté rassurant : on sait qu’en cas de problème on ne nous laissera pas crever au bord de la route.

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Les locaux sont souvent habillés en tenue traditionnelle. Les hommes portent le qamis (une grande robe généralement blanche) avec un keffieh sur la tête tandis que les femmes arborent une longue robe surmontée d’un hijab (voile couvrant juste la tête) ou d’un niqab (voile couvrant le visage, sauf les yeux). La burqa est le stade d’après, avec la grille devant les yeux, mais je n’en ai pas vu. Comme disait Henry Ford, les consommatrices peuvent choisir la couleur qu’elles veulent du moment qu’elles choisissent le noir… Au final, la seule différence entre hommes et femmes réside souvent sur le simple voile devant le visage, mais sinon, les deux sont tout aussi contraignants. D’ailleurs je n’ai pas ressenti que les femmes étaient particulièrement malheureuses dans ces pays. On les voit souvent maquillées, leurs robes sont même parfois assez sexy, et s’il y a bien des statuts sociaux très distincts entre hommes et femmes, les couples se comportent pour la plupart normalement. Je ne dis pas que c’est enviable mais c’est loin d’être l’enfer qu’on nous décrit souvent.

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Je suis finalement arrivé à Muscat après dix jours de désert et je troquais un peu de chaleur et de vent contre beaucoup trop d’humidité, ce qui me fit passer des nuits assez pénibles, à suer comme un cochon à l’extérieur de la tente, me battant à la fois entre la chaleur, les moustiques et les puces des sables. Je m’installais souvent assez près de la route pour pouvoir bénéficier du vent des voitures et ne pas trop transpirer, et parfois à même le béton pour éviter l’humidité. Dans le genre clodo, c’est première. Après quelques nuits de ce genre, on est suffisamment fatigué pour ne plus en souffrir. Quand je pense que certains se plaignent que je ronfle dans les dortoirs… huit jours sous une benne, y a que ça de vrai!

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À cause de la chaleur, je n’ai pas pu pleinement profiter de ce que le pays avait à offrir et j’ai souvent fait au plus vite pour arriver chez mon ami au Qatar, mais ce que j’ai pu en voir mérite un autre séjour en Oman, plus long et dans de meilleures conditions. Leurs mosquées, leurs bâtiments sont souvent superbes, les paysages de montagne rocailleuse très originaux. Et les locaux incroyables. Comme je roulais en période de ramadan, on m’offrait souvent beaucoup de nourriture autour de 17-18h, avant qu’ils ne s’arrêtent tous sur le bord de la route pour rompre le jeûne à 19h à l’appel lancé depuis les minarets. C’était d’ailleurs un moment assez magique de se retrouver quasi seul sur la route, à entendre les chants des nombreux muezzins tout en saluant les musulmans en train de casser la croûte. Finalement, je suis assez pour qu’on en construise en France. Les églises sonnent déjà cinquante fois par jour, on peut bien rajouter cinq chants là-dessus.

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Je filais ensuite en direction des Émirats-Arabes-Unis, un autre petit morceau du golfe arabique que je n’imaginais pas tellement différent de l’Oman. Les gens en tout cas, étaient toujours aussi généraux, exceptés les bourriques en uniformes qui m’ont quasi tous cherché des noises. Ma journée à Dubai en est l’illustration parfaite : après m’être fait à moitié virer d’un centre commercial parce que j’étais trop sale, la police m’arrêtait vers 19h, soit disant parce que je n’avais pas le droit de faire du vélo dans les Émirats, puis parce que je ne savais pas où dormir. Et ça, au pays des Ferrari, c’est super louche. Bref, ils me garderont trois heures avant que je ne puisse sortir du poste de police à 22h. Ma première réaction a été « C’est tout?!« , comme si j’espérais avoir au moins mérité une nuit en cellule au bout de trois heures. Merci messieurs.
Dubai ne m’a pas impressionné. Ou tout du moins pas envouté. Oui les buildings sont jolis, ils ont réussi à créer quelques beaux trucs (ils ont même les pistes de ski dans le centre commercial) mais je n’ai rien ressenti, il n’y a pas d’âme comme dans les mégalopoles américaines par exemple. C’est trop organisé, trop propre, trop moderne partout, trop espacé. L’ensemble m’a plutôt déçu. Du coup, après mon éphémère arrestation, hors de question de rester là-bas plus de deux jours, et je finissais par filer au Qatar en avion puisque l’Arabie Saoudite a refusé mon visa de transit (il y a 60km à traverser chez eux pour aller au Qatar en vélo depuis les Émirats…) dans trois ambassades différentes.

Le Qatar, et Doha, où je dois désormais attendre un autre visa, l’iranien. Mais cette fois, je ne suis ni à la rue, ni sale puisque je suis hébergé chez un copain qui y travaille : un vrai lit, la clim, la piscine, une cuisine, des invitations au restaurant, baby-foot et playstation. On m’a même accueilli avec des bières belges et du fromage… L’import d’alcool et de porc est strictement interdit dans le pays mais un magasin en périphérie de la ville, à côté de la police religieuse, permet de s’en procurer pour peu qu’on possède un permis comme celui-ci :

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J’ai donc profité d’un intermède de luxe avant de repartir plus loin en Asie centrale, via l’Iran où les températures ne sont pas plus clémentes qu’ici : 74˚C ressentis à l’heure où j’écris ces lignes.

J’ai trouvé Doha beaucoup plus réussie architecturalement (je parle du quartier des affaires) que Dubai. En revanche, je n’ai pas réussi à prendre une photo sans grue…
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Et comme on ne m’a jamais offert autant de trucs dans tout le voyage que dans les pays du Golfe, je me suis amusé à faire une petite liste, jour par jour de ce qu’on m’a donné (eux, en contrepartie, demandaient souvent à me prendre en photo) :

-2 juillet : arrivée à l’aéroport de Salalah, après 5 minutes on me tend un sac plastique avec de l’eau et du lait frais, des gâteaux, des fruits.
-3 juillet : deux voitures s’arrêtent pendant que je mange pour savoir si je veux quelque chose, je refuse car je suis plein.
-4 juillet : des ouvriers Indiens me donnent de l’eau fraîche. Une familles omanaise me donne des dattes, du pain, du fromage à tartiner, de l’eau fraîche. Je refuse l’argent qu’ils me proposent.
-5 juillet : un camionneur m’offre de l’eau et le frais de sa cabine pour 10 minutes.
6 juillet : rien mais j’ai peu roulé.
-7 juillet : une première voiture omanaise me donne de l’eau, des gâteaux, du jus d’orange et je refuse l’argent. Une deuxième voiture omanaise me donne des dattes et de l’eau pour laver les dattes. J’ai bu l’eau et mangé les dattes avec le sable. Un peu plus, un peu moins… Une troisième voiture omanaise me donne de l’eau.
-8 juillet : une voiture s’arrête le matin mais j’ai tout ce qu’il me faut. Des chauffeurs me proposent de mettre le vélo dans le camion, je refuse (j’ai pas traversé la moitié du désert pour lâcher maintenant). Vers 18h, trois jeunes omanais en voiture m’offrent de l’eau, du lait, des donuts, des cakes et un keffieh que je porterai ensuite (parfait pour la chaleur).
-9 juillet : un camionneur pakistanais m’offre 3 litres d’eau. D’autres voitures s’arrêtent pour prendre des photos mais j’ai tout ce qu’il me faut. Dans l’après-midi, alors que je me repose, les ouvrier Indiens m’offrent de l’eau, du coca, des samosas et divers trucs indiens frits. En partant, ils m’offrent encore des beignets frits. Au coucher du soleil, une première voiture fait demi-tour : je refuse, je suis plein mais il insiste tellement que je dois prendre les sodas et les jus de fruits de peur de le vexer. Une deuxième voiture fait demi-tour pour m’offrir une assiette pleine de quartiers d’orange. Vers 19h, deux types rompent le jeûne assis dans le désert et m’invitent à manger avec eux. Je partage mon excès de bouffe aussi mais je repars avec plus qu’en arrivant : jus de fruits, laban (sorte de lait fermenté), quelques gâteaux.
-10 juillet : Deux voitures dont la police s’arrête pour savoir si j’ai besoin de quelque chose. Un Indien m’invite à choisir une boisson fraîche gratuitement dans son magasin.
-11 juillet : Un Omanais m’invite à dormir chez lui mais c’est le matin… Le soir, je me fais virer de l’autoroute pour une heure car le convoi du sultan Qaboos va passer. Presque pour s’excuser du désagrément, des Omanais m’offrent des raisins et du laban. Après le convoi, je vois des flics sur le bord de la route qui m’arrêtent pour me donner du lait, de l’eau, et beaucoup de nourriture.
-12/13/14 juillet : on me parle beaucoup mais on ne m’offre rien : je suis à Muscat, la capitale.
-15 juillet : cinq voitures s’arrêtent pour savoir si j’ai un problème et si j’ai besoin de quelque chose pendant que je fais la sieste à l’ombre d’un arbre.
-16 juillet : les flics s’arrêtent pour savoir si je veux de l’eau. On checke mon passeport au passage. Le soir, un type m’aide à trouver mon chemin avec son van, veut me donner de l’eau avant de me saouler 10 minutes avec Allah et l’Islam. Ça sera le seul à faire ça de tout mon séjour.
-17 juillet : on m’offre du dessert omanais alors que je suis en train de cuisiner sur un trottoir. Tard le soir, un Omanais s’arrête et m’invite à boire un coup chez lui. Je refuse les fruits, j’en ai déjà plein.
-18 juillet : je dors à la frontière où les officiels me font porter trois assiettes de sandwichs, des fruits, de l’eau, du thé, du jus de fruit au cours de la nuit et le lendemain matin. C’est l’Eid Mubarak aujourd’hui, une des fêtes les plus importantes pour l’Islam.
-19 juillet : un Émirati s’arrête pour savoir si je vais bien puis me tend 200 dirhams (environ 50$). Bon, là… j’ai accepté. Dans une station service, un autre type me met 10 dirhams dans la main par surprise. Puis un Philippin m’offre de l’eau, un snicker, des sandwichs.
-20 juillet : devant un centre commercial, des employés philippins m’offrent de l’eau et veulent aller m’acheter de la nourriture au supermarché, je refuse.
-21 juillet : un Australien s’arrête comme un sauvage sur l’autoroute pour savoir si je vais bien et si j’ai besoin de quelque chose. Le soir, un Philippin de la veille m’invite à dormir chez lui. En allant chez lui, je crève devant un supermarché où un Philippin me propose de m’acheter de la nourriture, ce que je refuse. Puis 30 secondes plus tard, un Indonésien me tend un sac plein de fruits, snacks, eau. Je refuse d’abord mais il l’a acheté exprès pour moi. Sa femme s’excuse de s’immiscer dans ma vie comme ça… Je dors chez le Philippin où on m’offre à manger le soir et le matin.
-22 juillet : je suis installé chez mon pote comme un roi au Qatar. J’ai du Pastis, de la Leffe brune et de la Chimay, je suis sain et sauf.