Entre Gabin, Bebel et Audiard

Le Yang-tsé-Kiang, vous en avez entendu parler du Yang-tsé-Kiang ? Cela tient de la place dans une chambre, moi je vous le dis !
Matelot, veuillez armer la jonque, on appareille dans 5 minutes.
Attention aux roches, et surtout, attention aux mirages ! Le Yang-tsé-Kiang n’est pas un fleuve, c’est une avenue. Une avenue de 5000 km qui dégringole du Tibet pour finir dans la mer Jaune, avec des jonques et puis des sampans de chaque côté. Puis au milieu, il y a des… des tourbillons d’îles flottantes avec des orchidées hautes comme des arbres. Le Yang-tsé-Kiang, camarade, c’est des millions de mètres cubes d’or et de fleurs qui descendent vers Nankin, puis avec tout le long des villes ponton où on peut tout acheter, l’alcool de riz, les religions…et pis les garces et l’opium… J’peux vous affirmer, tenancière, que le fusiller marin a été longtemps l’élément décoratif des maisons de thé.

Certains auront reconnu le brio d’Audiard couplé au talent de Gabin dans le film « Un singe en hiver » que nous sommes bien obligés de citer en pareille occasion. Les mauvais élèves qui ne l’ont pas vu auront au moins « tutoyer les anges » un moment et pour ceux qui ne suivent décidément rien à l’affaire, nous avons vu et rebu à de nombreuses reprises ce chef d’oeuvre qui nous a bien sûr grandement inspiré pour le titre de notre site.

Et comme le droit de navigation sur le Yang Tse Kiang nous est formellement reconnu par la convention du 3 août 1885, pourquoi ne pas en profiter?
Quatre jours et trois nuits à bord d’un bateau de croisière n’offrant certes pas toutes les conditions d’authenticité de la jonque mais qui nous fera découvrir les merveilles du 3ème plus grand fleuve au monde.
L’excursion est parsemée d’étapes où le bateau fait halte pour atteindre les quelques attractions touristiques à des prix clairement exorbitants pour la Chine, disons le clairement. Ne souhaitant que profiter des paysages et du calme de la navigation, nous ne prendrons aucune option supplémentaire aux 450 yuans du voyage.

Le départ de Chongqing se fait de nuit et offre encore une autre perspective étonnante de la ville qui pour l’occasion (ou par hasard mais nous préférons la première hypothèse) inaugurera de nouvelles tentures lumineuses sur les quais. Le flot continue de péniches encombre les eaux troubles et chargées en alluvions et l’affluence ne diminuera presque pas durant le voyage.
Si nous ne couvions que peu d’espoirs de retrouver l’authenticité du récit d’Albert Quentin (Ah tiens, Albert, comme le singe en présentation du site! On en apprend des choses aujourd’hui…), la construction du barrage des trois gorges en aval les aura broyés parmi ses 32 turbines de 3300 tonnes chacune. L’édification de ce barrage aux dimensions chinoises qui n’étonnera plus le lecteur attentif de ce site (Terra cota army, grande muraille, toussa…) a fait monter les eaux d’une dizaine de mètres et a sans doute englouti tout ce qui pouvait encore avoir un semblant de lien avec la prose de Gabin.

Reste toutefois des paysages splendides et des passages à naviguer entre deux falaises achevant toute nuisance extérieure (oui, les chinois sont très bruyants). Et le lent ballotement sur le fleuve pour qui n’a pas l’habitude et l’apprécie est source d’un grand apaisement au quotidien, notamment lorsqu’on sort d’une ville aussi dense.

À vos claviers! Et n’oubliez pas de regarder le film!