Si quelque chose devait me manquer, ce ne serait plus le vin, ce serait l’ivresse

Après deux ans d’Australie il n’est pas vraiment facile de vous parler du pays puisque nous étions rentrés temporairement dans la vie active et n’avons que très peu bougé. C’était surtout l’occasion de renflouer les caisses et du coup, de faire un peu le point sur ce qu’on a vécu jusqu’ici. Ça, ce n’était pas vraiment prévu en arrivant mais les souvenirs d’un an et demi sur les routes rejaillissent trop souvent pour ne pas voir ce qui a changé.

Alors que le projet mûrissait depuis des années, je me demandais les premiers jours du voyage ce que j’étais en train de faire, quel sens ça pouvait bien avoir. Tout en voulant absolument poursuivre, je ne savais pas trop ce que ça allait m’apporter. Ce sentiment a été à son paroxysme juste après la descente des Alpes jusqu’à complètement disparaître en quelques semaines. Au bout d’un mois j’ai vraiment su que j’avais raison de voyager quand justement, je réalisais que cela ne faisait qu’un mois alors que j’avais l’impression d’être parti depuis des années. Comment avais-je pu passer à côté d’un truc pareil pendant toutes ces années de routine? Le temps semblait ralentir pendant que je voyageais, j’étais quasiment capable de dire ce que j’avais fait chaque jour du mois précédent alors que j’ai l’habitude de ne pas me souvenir de la veille.

Jamais le même lit, la même ville, le même restaurant aux tables collantes (mais souvent le même plat), les mêmes paysages, habitants, langages, cultures, comportements, etc. Toutes nos habitudes sont bousculées quotidiennement. On découvre plus de choses en deux mois que les 20 années précédentes et ça envoie quand même un sacré électrochoc. On ressent régulièrement cette sensation lorsqu’on contacte les personnes restées en France : alors qu’on pourrait s’étaler pendant des heures sur ce qu’on vit, on se rend compte de ce qu’était notre ancienne vie, et maintenant, ça me fait peur. J’aurais pu rester en France dans mon dernier boulot, à 2000€/ mois. On m’a dit que c’était une bonne main pour un début de carrière, je n’y ai pas cru et j’ai tenté d’y aller au culot. Résultat, je me retrouve à avoir parcouru l’Europe, l’Asie, l’Océanie et très sûrement plus de chiffres sur mes comptes que si j’étais resté pendant tout ce temps là dans mon dernier emploi (entreprise qui depuis a viré le directeur d’agence et a connu la démission de nombreuses personnes… si c’est pas un signe ça?). Si je n’ai jamais été attaché à la sécurité de ma situation, je comprends que certains se soucient de la leur (un minimum hein, je parle pas de ceux qui rentrent dans la fonction publique dans ce but. Là on peut pas discuter) mais je ne crois pas pouvoir un jour rentrer dans ce cadre, surtout après un tel voyage. Je ne fais plus parti de ce monde là. Et puis les séjours au Laos et en Papouasie notamment, même si j’ai adoré le temps que j’y ai passé, m’ont confirmé que le manque d’initiatives et de changements est rapidement ennuyeux. En bref, les plans de carrière, le salariat et les communautés de décroissants, ça me fout les miquettes. J’ai besoin d’aventures, de risques, d’imprévu et un milieu où je ne peux pas me permettre de juste attendre bêtement que la journée passe.
Évidemment, on peut aussi se viander méchamment, c’est la vie. L’important c’est au moins d’essayer.

« Si nul ne prenait jamais de risques, Michel-Ange aurait peint les planchers de la chapelle Sixtine. » – Neil Simon

Voici un film que j’adore, que j’ai vu et revu sans me lasser, L’homme qui voulut être roi, avec Sean Connery et Michael Caine (le film préféré des deux acteurs, c’est dire s’il vaut le coup d’oeil vue leur filmographie respective). C’est l’histoire de deux aventuriers, anciens soldats de l’Empire britannique en Inde qui décident de partir au Kafiristan pour y devenir rois, avec la b… et le couteau comme on dit. Ils tiennent ce dialogue alors qu’ils s’apprêtent à mourir gelés en montagne :

-Peachy, je voudrais ton opinion. Est-ce que nous avons vécu bêtement?
-Eh bien ça dépend de ton point de vue. Je ne dis pas que le monde soit devenu meilleur de nous avoir vu naître.
-Ce serait exagéré.
-Et pas une larme ne coulera à l’annonce de notre trépas.
-De toutes façons je ne veux pas qu’on pleure.
-On a pas tellement de bonnes actions à notre crédit.
-Non. Pas de quoi se vanter.
-Mais combien d’hommes sont allés où nous sommes allés, et ont vu ce que nous avons vu?
-Pas tellement, c’est indubitable.
-Même maintenant, je ne changerais pas de place avec le vice-roi en personne s’il me fallait cracher sur mon passé.
-Moi non plus.

Aujourd’hui je ne sais pas ce que je ferai plus tard, quand cela s’arrêtera, où et comment je vivrai, je suis loin de tout ce que j’ai connu, et même dans le pires moments de galères je ne changerais pas de place avec le vice-roi en personne s’il me fallait cracher sur ma situation.

Bref, c’est bon l’aventure.




Notre vie en camp de gitans

Vous aviez déjà eu un bref aperçu de notre vie à Port Hedland via les précédents articles, il est temps de s’attarder un peu sur certains détails. Aujourd’hui on va causer un peu drogues et gitans. Sur place, notre quotidien nous apparaissait plutôt normal mais l’ambiance de ce camp était en fait complètement barge quand on connaît un peu les énergumènes sur place. Un petit tour d’horizon s’impose. Retour sur 7 mois haut en couleurs.

Il y a d’abord Cliff que nous évoquions dans l’article précédent – oui ça date mais le lien est ICI, vous n’êtes pas perdus – ce vieil Australien, « propriétaire » du camp et dont les coups de sang ne passaient pas inaperçus.
Installé ici avec sa femme Leena depuis bientôt 10 ans pour pêcher, son hospitalité n’a d’égale que sa haine pour la mairie, le gouvernement et BHP, la compagnie minière qui contrôle la ville en soudoyant les premiers cités. Les prix des logements étant volontairement maintenus très élevés, il avait décidé d’accueillir, une, deux puis trente ou quarante caravanes/bungalows pour aider les gens. Les 150$ de loyer par semaine ne servent qu’à payer l’essence du générateur (400$/jour) et divers travaux sur le camp. Évidemment, la mairie ne voit pas tout ça d’un très bon oeil et a longtemps tenté de faire fermer le camp. La raison officielle était les normes de sécurité alors que personne ici ne s’inquiétait de devoir marcher sur le gros câble du générateur pour aller pisser.
On aimait encore plus le personnage quand, d’une jolie droite, il ouvrait l’arcade de Dave qui réclamait qu’on ne fasse pas la fête un samedi soir. Ou quand il refusait de parler aux représentants de la mairie et qu’il envoyait quelqu’un d’autre qui ne leur éclaterait pas la tête dans un étau. Ajoutant gratuitement « Ici, on est comme le Boston Tea Party, si j’étais propriétaire du terrain je les attendrais avec un fusil à pompe à l’entrée! Faut vraiment une très bonne raison en Australie pour que la police entre chez toi! » On ne sera pas étonné de retrouver le garçon accroché à son antenne pour y installer un drapeau de la révolution Eureka, une rébellion de mineurs Australiens il y a 2 siècles contre les taxes trop élevées du gouvernement.
Quelques semaines après notre départ du camp (suite à une évacuation de la police), nous avons appris qu’il s’était fait attrapé à Perth avec quelques millions de drogues sur lui. On savait qu’il pouvait facilement fournir un peu de tout mais on ne se doutait pas de telles proportions. Apparemment le camp était un peu la plaque tournante du commerce de stup’ à Port Hedland.
Ce type restera celui qui nous a le plus aidé en Australie. Le meilleur Australien qu’on ait rencontré assurément.

Cliff installe son drapeau

Cliff installe son drapeau

À l’opposé question affection, on retrouve Dave, un vieil Écossais rachitique, qui avait décidé de nous les briser dès notre arrivée au camp sous les tentes et qui n’a pas vraiment lâché le morceau depuis. Le type se vante d’avoir des maisons à Perth, des comptes remplis, etc. et vit… dans une caravane au milieu du désert. Si encore il avait des occupations… bon… à la limite. Mais il ne fait strictement rien de ses journées. Ah si! Il s’occupe de tes affaires. Je l’ai retrouvé un jour dans notre caravane, prétextant qu’il s’était perdu après avoir bien regardé où j’étais. Sorti manu militari avec menaces de cassage de dents il est revenu quelques semaines plus tard avec un de ses potes pour me casser la gueule. Finalement, on était 10 autour de la table, il a fini par repartir en menaçant de faire cramer la caravane. Soit. Ce n’était pas le premier qui nous faisait cette gentille proposition barbecue. Une demie-heure plus tard, nous retrouvions son homme de main accroché au mât du drapeau français, que Cliff nous avait dit de planter encore plus haut après que Dave l’ai déjà fait brûler une première fois. Le genre de gars qui ne fait pas peur mais qui est tout le temps là à t’emmerder. Une sorte de mouche à merde.

La première proposition barbecue-caravane nous avait été formulée par notre charmant voisin Grecque, souvent absent mais dont la présence est remarquée tant il a tendance à gémir au moindre décibel de trop. Eh! Bonhomme! T’as vu où t’habites? T’es pas à l’Ibis là. Il est vrai qu’il fût une période où les enceintes et l’alcool (voire les drogues pour les intéressés) étaient de sortie chaque soir jusqu’à point d’heure malgré que tout le monde travaillait. Nous avions instauré une règle d’or : si tu ne peux pas dormir, c’est que tu n’es pas assez fatigué. On finit par s’habituer aux enceintes à côté du lit.
Bref, pour revenir à notre Grecque, un jour où le courant sautait constamment, j’avais entrepris de débrancher les caravanes avec les clims qui tournaient sans personne à l’intérieur, dont la sienne. Du coup, il a voulu cramer la nôtre. Normal.
Nos discussions étaient donc assez brèves.

Notre caravane au premier plan, toujours en vie.

Notre caravane au premier plan, toujours en vie.

Allez on fait une courte pause dans les dégénérés pour parler de quelques voisins proches.
D’abord nos deux voisins des Tonga, deux frères. Ceux qui suivent un peu le rugby savent que « Tonga » évoque en général 120 kilos, du tatouage et des têtes à pas faire rire. Voilà, les mêmes. Un troisième larron arrivera sur la fin, encore plus costaud. Ils ont toujours un cousin ou un voisin qui est professionnel de rugby. Je crois que leur voisin a été champion de France avec Castres l’an dernier. Ce sont nos copains, tout va bien.

Un peu plus loin, Pete le kiwi, de Nouvelle-Zélande donc, 45 ans, pas loin d’être dans les dégénérés mais bien sympa. Une bière dans chaque main du lever du soleil au coucher du soleil … jusqu’à point d’heure. Un alcoolique qui n’a pas eu une vie bien marrante, c’est déjà beau qu’il soit toujours en vie pour nous raconter ses conneries. Après quelques heures, il devient carrément lourd quand même.

Un petit tour en Inde désormais avec Lal (et son pote Vijeh), petit gros moustachu qui n’arrête pas de parler de c.. Un bon client de la maison close à 300$ la passe à Wedgefield (la zone industrielle de Port Hedland). Très sympa, il nous laisse faire la fête juste devant sa caravane même quand il travaille le lendemain. Sur demande, on a parfois droit à une grosse marmite de curry. Pas pénible pour un sou, toujours en train de rire, mais copain avec tout le monde. Et dans un camp pareil, ça veut dire que tu n’es pas très franc.

Une autre espèce pas du tout en voie d’extinction dans cette ville : les obsédés sexuels. Deux Belges arrivés quelques mois après nous et qui se sont aussi crus à l’hotel Ibis. Toujours à se plaindre du moindre pet de travers, du bruit, du confort et de la qualité de l’air et pas foutus de serrer un boulon alors qu’ils travaillent dans la construction… Des champions du monde, branleurs fous dans tous les sens du terme. Pas moyen de faire une blague graveleuse sans les voir disparaître 15 minutes dans leur caravane… On aura appris récemment que l’un d’entre eux est toujours à Port Hedland à l’heure actuelle et qu’il est même très bien payé en tant qu’ouvrier qualifié (trade assistant). Un peu le symbole de cette ville : les boulots ne se décrochent pas au mérite.

On laisse les enfants de coeur et on s’en va maintenant de l’autre côté du camp, chez les vrais timbrés. Le cinglé en chef est Simon, le plus dangereux. Très sympa un moment, il peut revenir 5 minutes plus tard en menaçant de de tuer. Et tu l’en sens capable. Plusieurs témoignages sont venus corroborer notre ressenti. Défoncé sous Ice 24/24h, à éviter comme la peste. Dealer à ses heures perdues lui aussi. On a vécu dans ses bungalows un moment avant de comprendre qu’il fallait vite acheter une caravane.

Une autre partie du camp. Au fond, chez Simon.

Une autre partie du camp. Au fond, chez Simon.

Dans son entourage, un petit Serbe, Niemi. On l’a vu se momifier petit à petit. Également grand consommateur d’Ice, il a perdu petit à petit, et ses boulots, et ses kilos. Toujours resté sympa cependant. Un couple de Français a plus ou moins subi le même sort, ils sont partis du camp avant de finir trop mal. Un réflexe salutaire.

Une autre junkie, Tina, au visage cadavérique s’était amourachée d’un fugitif échappé pendant une permission que la police venait parfois chercher sans succès. Eh oui, il y avait quelques femmes dans ce gourbis. Mais quelles femmes…
Nicole, dit le cube, aurait apparemment payé ses loyers en nature pendant un temps. Avec son visage d’alcoolique et toute cette guimauve l’entourant, il vaut mieux ne pas encaisser de loyer du tout.

Et puis il y avait le clan des blacks, 50% sud-soudanais (c’est un nouveau pays mais déjà très en vogue ici), 50% ghanéens. Le plus fou était Daniel, un homme tellement imprégné de religion qu’il fût obligé de s’échapper nu par la fenêtre de sa caravane alors qu’il était attaqué par le Diable.

Un survivant du Diable

Un survivant du Diable

Enfin, pour abréger, deux lesbiennes habitaient l’entrée du camp et nous promettaient quelques soirées mouvementées quand, par exemple, l’une frappait sur la voiture de l’autre avec un bastaing.

Au milieu de tout ça, Zeus, 1m au garrot, le grand dogue allemand de Cliff, venait se tremper les roubignolles dans le bac à eau croupie derrière notre caravane avant de s’asseoir sur nos genoux quand il ne courait pas après les poules. Le générateur qui tournait jour et nuit pour les clims et les frigos assurait le bruit de fond et la poussière qui s’infiltrait partout était vite oubliée avec un pack de six entre copains. Car les copains dans des endroits pareils, c’est vachement important.

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Avec le recul, c’était usant. Le genre d’expérience que tu es heureux d’avoir vécu mais que tu ne recommencerais pour rien au monde. Tout ce qui reste aujourd’hui de ce camp est un champ de ruines avec toujours 3-4 irréductibles qui survivent grâce à un petit générateur. On est toujours un peu triste en passant devant, et on pense à Cliff, à l’ombre pour un bon moment, sans qui on ne serait pas là aujourd’hui.




Safety first

Après bientôt 2 ans en Australie il faut bien se rendre à l’évidence, ce pays n’a rien de Mad Max ou Crocodile Dundee. Pourtant largement adepte de la gonflette , de protéines et recouvert de tatouages, l’ouvrier est tous les matins sensibilisé infantilisé aux vilains risques mortels qu’il court à travailler sur un chantier de construction.

Remettons les choses dans leur contexte. Je travaille à Port Hedland, située à l’ouest de l’Australie cette ville est célèbre pour ses salaires à 5 chiffres, sa prédominance masculine, son soleil de plomb 365 jours par an, son humidité insupportable, le sable à perte de vue et son port exportant des centaines de millions de tonnes de minerais de fer chaque année.

Parmi les milliers d’entreprises officiant ici, les plus grosses sont bien connues pour honorer avec beaucoup de zèle les normes de sécurité mises en place par WorkSafe, un organisme étatique qui ne veut que votre bien. Voici un petit plongeon au coeur d’une journée de travail normale chez Tenix, les champions de la Safety.

Avant de mettre la main à la pâte, il vous faut deux choses :

  •  votre White Card attestant que vous connaissez les risques de la construction (4 heures de powerpoint sur internet),
  • les Inductions des entreprises y travaillant. Identiques à la WhiteCard, elles prennent de 20 minutes à plusieurs jours.

6h15, un peu d’avance pour prendre un café, mais surtout passer à l’éthylotest. Plus de 0.0000mg/l et vous pouvez rentrer chez vous.

6h30 commence le Pre-start meeting où les travailleurs découvrent le programme de la journée. Rituel classique de n’importe quel chantier. Puis un OHS representative (Occupational health and safety), un Monsieur Sécurité donne le même speech que la veille à quelque mots près. Il expliquera les dangers inhérents à travailler sur un chantier de construction (machines, trous, etc), les actions à entreprendre (éviter les machines, baliser les trous, etc), et les indispensables PPE (Personal protective equipment) que vous devez avoir avec vous à tout moment : chaussures coquées, pantalon à bandes réfléchissantes (c’est la journée, oui oui), chemise manches longues réfléchissante, gants, lunettes de protection, casque de chantier et une collerette autour de ce dernier pour vous protéger du soleil.  Vous voila bien équipé.

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Pour finir notre M. Sécurité insistera longuement sur la température caniculaire du jour et sur votre hydratation. On est gentil et on boit son eau ok ? Sa dernière phrase résumera à elle seule la lobotomie qui vous est infligée : « Have a Good Safe Day ! ».

En général il y a toujours un second Mr Safety pour en rajouter une couche, qui nous rappellera par exemple que rouler à plus de 10km/h c’est pas bien, qu’on attend quelques camions de terre aujourd’hui et qu’il faut faire très attention à ne pas se faire écraser. C’est pour votre bien, au cas où vous ne  verriez pas arriver le road train vous foncer dessus à 10km/h avec ses 4 remorques. Si par malheur un incident s’est produit la veille sur un chantier, n’importe où ailleurs en Australie, les faits vous seront décrits avec un minutieux sadisme, vous pourriez être le prochain.

Pour éviter foulures et autres petits tracas du même acabit, tout le monde se met en cercle et s’étire lors d’une rapide séance d’échauffements obligatoire.

Il est 7 heures, mais comme aujourd’hui est lundi, pas question d’aller travailler sans avoir rempli les JSEA (Job Safety and Environnement Analysis). Les JSEA sont un moment récréatif avec tous vos collègues. Il consiste à remplir des formulaires d’analyse des risques pour chaque tâche. Si vous conduisez une pelle, vous remplirez un JSEA « Excavating » par exemple. À l’intérieur il vous faudra décrire chaque risque rencontré avec cette pelle, la gravité / occurence du risque, la manière de le maîtriser et la gravité / occurence du risque contrôlé. Un exemple ?

– Monter dans la pelle / Risque de glissade, chute / Modéré / Faire attention, PPE, 3 points de contact pour monter / Faible

C’est con n’est-ce pas ? Ce n’est que le début. Il faudra également ajouter « Faire le plein de carburant », « Creuser un trou », « Se déplacer », « Descendre de la machine », « Garer la machine », et j’en oublie. En général c’est 2 pages de copie à se taper pour chaque tâche. Si votre outil de travail est un rateau pour ratisser des feuilles, votre JSEA s’appellera « Manual handling ». Vous pensiez y réchapper ? Haha.

7h30, on peut maintenant travailler, mais avant tout il vous faut remplir un Take 5 (trad : Prenez 5 minutes). Il s’agit d’une petite fiche à remplir avant chaque travail pour prendre conscience des risques encourus. Ca semble redondant n’est-ce pas ? Il est là pour vous faire perdre 5 minutes et vous rappeler les dangers inhérents à la tâche que vous allez attaquer. Techniquement c’est la même chose qu’un JSEA en plus court. Tous les Take 5 sont collectés par M. Sécurité qui vous grondera si vous n’en avez pas rempli assez.

take5

8h, les ouvriers partent au travail, rassurés d’être encore sains et saufs. Les opérateurs de machine ont évidemment tous leur Ticket (un permis, comme un CACES) sur eux et ont au début du chantier passé un VOC (Verification Of Competency) au cas où ils auraient trouvé leur Ticket dans un Kinder surprise. Pour le bien être de tout le monde sur le gentil chantier, un nombre incroyable de jobs nécessite un Ticket, pas seulement les opérateurs. Vous pensez faire du Trafic Management (tenir un panneau Stop / Ralentir au bord de la route, poser des cônes et des panneaux) sans ticket ? Hors de question, et ça vous prendra 3 jours de formation. Entrer dans un espace confiné comme une cuve ou un gros tuyau (Confined Space Ticket), utiliser une torche au butane (Hot Work Permit), accrocher n’importe quoi avec des sangles (Dogman. 3 niveaux différents), travailler en hauteur (Working at Heights), utiliser un échaffaudage (Scaffholding, 3 niveaux également) ? Impossible. Le graal de l’ouvrier est de posséder tous ses tickets après 1 mois dans un centre de formation et quelques milliers de dollars.

Vous travaillez avec entrain quand soudain c’est le drame. Un danger !  Une tranchée n’a pas été entourée de rubalise. Il n’y a pas de temps à perdre… il faut remplir une Hazard Card (Carte danger), décrire la nature du risque et l’action à entreprendre. Théoriquement vous êtes censés la faire signer par votre chef d’équipe mais le danger ne peut pas attendre, vous courrez chercher de la rubalise, il y a des vies en jeu. Chaque danger, aussi minime soit-il fait l’objet d’une hazard card que M. Sécurité aime collectionner sur son mur. À la fin du mois il récompensera l’auteur du plus grand nombre de cartes d’un Kinder bon d’achat de 50$. J’ai réparé un urinoir (enlever 4 vis, remettre 4 vis) avec une collègue récemment. Elle a été félicitée pour ce superbe travail et a gagné deux tablettes de chocolat. On n’est pas loin du Kinder n’est-ce pas ? Si vous non plus vous ne comprenez pas, bienvenue au club.

Revenons à nos moutons car vous devez maintenant couper un bout de béton. Malheureusement la scie à béton n’a pas été étiquetée. Or, chaque équipement doit être étiqueté, attestant de son bon fonctionnement et de sa sureté. Le béton attendra.

De la même manière si vous devez utiliser un produit chimique comme de la colle PVC par exemple, il faut d’abord signer le MSDS (Material safety data sheet) qui lui est associé comprenant les instructions de manipulation et les risques de contact/inhalation/etc.

Le temps est couvert aujourd’hui, les lunettes de soleil sont trop sombres. Ne pensez pas les enlever nonchalamment au milieu de toute cette poussière. Allez vite chercher une paire non teintée.

Vous vous êtes trompés ce matin, votre pantalon n’a pas de bandes réfléchissantes ! « Mais m’sieur, il fait jour, on s’en fout un peu non ? ». Non ? Ah non en fait, il faut retourner à la maison vous changer.

La fin de semaine se clôture en général avec des bières un Toolbox Meeting de 30 minutes où l’accent sera mis sur un sujet particulier. Le dernier en date : la manoeuvre arrière, les dangers de reculer avec une machine. Pour faire simple le message était « si vous présentez un danger à votre travail en reculant, vous l’êtes aussi à l’extérieur et un jour vous écraserez vos enfants ». Pour s’assurer d’une lobotomie bien réussie, la séance s’achève sur une vidéo d’accidents de chantier et d’enfants mutilés, le tout sur du James Blunt. Powerpoint et Windows movie maker sont des armes de destruction massive de cerveaux.

Finalement notre australien culturiste tatoué a l’air beaucoup moins méchant quand il lève la main pour participer à la réunion sécurité. Même les vieux qui viennent de régions reculées et qui ont connu les mines il y a 30 ans sont convertis au dieu Sécurité. Et si leur budget était serré, qu’ils devaient grappiller chaque dollar pour avoir un chantier bénéficiaire, gâcheraient-ils autant de temps à infantiliser les gens ?

Le plus triste c’est que les chantiers ne font que refléter la mentalité du pays. La plupart des locaux ont fait 3 fois le tour de l’Australie en bus sur-équipé avec leur voiture attachée derrière et passent toutes leurs vacances à Bali dans le même resort car la nourriture est sûre, la chambre est propre et le menu écrit en anglais. La culture australienne « barbecue – bières – pêche » a bien survêcu, mais elle s’est empêtrée dans une épaisse couche de guimauve.




Deux ans

À force de nous réclamer des articles à cor et à cri, nous nous exécutons. Greg m’ayant aimablement rappelé qu’il s’était entiché des dix derniers articles (chiffre tout à fait surestimé), je me devais d’en pondre un pour nos deux ans de voyage que nous avons fêté le 26 mai 2013. Techniquement, on a trop fait la fête le 25 pour réellement fêter quoi que ce soit le 26, mais on y a pensé très fort. Après 2 mois passés à Port Hedland, Greg revient sur Perth passer ses permis de Bobcat et de pelle. En septembre nous avions rencontré Migre, un ami de Charly (notre cousin) au Litchfield National Park lorsque nous étions allés lui faire coucou en passant. Le 25 décembre Migre met le cap sur Perth. Greg va le chercher à l’aéroport et le ramène à la soirée de noël du backpack où ce dernier fera timidement connaissance avec la bande du City ‘n Surf, tel un petit oiseau tombé du nid. Depuis c’est l’amour fou, nous ne nous quitterons plus. Après un réveillon passés dans le sud avec toute la troupe (la voiture de Greg rendra l’âme sur le chemin du retour), les « tickets » en poche (les permis pour conduire des engins de chantier), nous mettons le cap sur Port Hedland.

Migre

Migre et sa glace à l’eau

Arrivés au beau milieu d’un été caniculaire (un été normal à Port Hedland), 40°C, 90% d’humidité, nous faisons connaissance avec les agences d’intérim en espérant en ressortir avec un job. En temps normal, 1 ou 2 jours suffisent pour trouver un travail, 1 semaine grand maximum. Mais nous sommes arrivés en temps pas normal du tout. Toutes les agences nous répondent le sempiternel discours « It’s pretty quiet at the moment » (« c’est plutôt calme en ce moment »). Un jour, deux jours, une semaine, un mois ! Le même speech tous les jours et les mêmes journées à faire le tour des agences puis attendre à la plage. Oui oui je sais, « attendre à la plage » ne semble pas si terrible que ça. Allez donc passer 8 heures sur la même plage pendant un mois pour voir. Le coin n’est pas spécialement réputé pour ses activités récréatives. La nuit la température ne semble pas vaciller et nous perlons de sueur sur nos matelas gonflables en essayant de dormir.

Greg et Migre (version cheveux courts)

Greg et Migre (version cheveux courts)

Dans le même laps de temps nous avons trouvé un camp de caravanes chez un vieil australien, Cliff, qui veut bien nous laisser planter notre tente et utiliser les sanitaires, aucune caravane n’étant libre pour l’instant. Tout se passe bien et améliore grandement nos conditions de vie, à part quelques cul terreux d’australiens racistes qui passent, tout bourrés, en nous insultant de noms d’oiseaux. On ne veut pas faire de vague et ne surtout pas se faire virer du camp. Nous laissons courir. Après un mois Greg trouvera un travail pour quelques jours, Migre après 5 semaines et moi 6. Entre temps un cyclone passe par là, Cliff nous installe temporairement dans un bungalow ce qui signera la fin des nuits sous la tente. Une meilleur solution que le container rouillé que nous avions commencé à nettoyer. Nous profitons un peu plus longtemps du bungalow puis dès que nos premiers salaires tombent nous achetons une caravane à trois pour 6000$. La climatisation nous change la vie et annonce notre nouveau départ : engranger les tunes ! Container aménagé pour le cyclone Depuis les semaines défilent très vite car le boulot nous occupe tout le temps. Je travaille 10h30 par jours et ai 2 dimanches de congé par mois. Levé 5h, le boulot commence à 6h30 avec 15 minutes de conneries sur la sécurité au travail. Puis c’est une journée classique d’ouvrier à faire un peu de tout : compactage, laser, pelle, pose de tuyaux, rateau, etc. Quand c’est la fête je conduis même quelques engins. De retour à la maison/caravane la soirée passe vite étant donné qu’à 22h max tout le monde fait dodo. Laser Maintenant la question qui vous turlupine c’est « Qu’est-ce qu’il y a après ? Quand est-ce que vous rentrez ? ». Même si on change d’opinion assez régulièrement, nous sommes surs de rester au moins une deuxième année en Australie, et peut être plus si nous pouvons décrocher une résidence permanente. De mon côté je ne sais pas encore si je passe ma seconde année à Port Hedland ou si je redescends sur Perth pour travailler dans ma branche. La construction paie bien mais je m’ennuie pas mal à creuser des trous. Quant au voyage, il est repoussé, même si on y pense tout le temps. Notre caravane




Pékin Mes fesses

Micheline a vu le Cambodge. Elle sait comme les gens sont adorables et combien il est facile de se faire héberger. Elle connaît les difficultés de la pratique de l’auto-stop en Russie et plus rien ne lui échappe au sujet de la nourriture et des routes en Mongolie. Même qu’elle est une assidue de Pékin Express et qu’elle en tire toute sa science.
Ainsi, cette émission traîne derrière elle tellement de Micheline qu’elle continue de sévir jusqu’à aujourd’hui et qu’on ne peut bientôt plus aborder le sujet du voyage sans qu’un petit Michel en puissance ne l’évoque.

-Tu es en Sylvanie? Ils sont sympas les gens hein?
-Et vous dormez chez l’habitant?
-Et vous faites aussi avec 1€ par jour?

Toute dialogue de ce type se terminant forcément par l’argument implacable :
-Pourtant l’autre jour dans Pékin Express, c’était comme ça, j’y ai vu, etc.

Pour rappel, et bien que je n’ai suivi qu’un seul épisode il y a très longtemps, c’est dans cette émission qu’on veut nous faire croire que Ludo et Nanard, l’équipe bleue, ont réussi à traverser toute l’Asie avec un euro par jour tous frais compris et qu’ils se sont fait héberger avec une facilité déconcertante dans tous les pays. Pendant ce temps là, Loulou et JP, l’ équipe jaune, n’ont pas traîné en route, multipliant les trajets gratuits en auto-stop, ne rencontrant que des gens adorables. Ceci reflète une réalité évidente et juré-craché, les caméras n’y sont pour rien!
Oh bien sûr, tout est possible, surtout quand on ne prévoit rien. Mais c’est un peu trop « possible » à notre goût.

Je n’ai cessé de répéter à chaque fois qu’on m’y faisait référence que tout ceci était pipauté au plus au point et qu’il suffisait d’avoir baroudé un mois à peu près n’importe où dans le monde pour déceler la supercherie.
Je crois que notre période la moins dépensière fût entre Bryans’k et Moscou, où nous avons dépensé 24€ à deux pendant 4 jours (donc 3€ par personne et par jour). Il faut préciser que nous ne faisions que du vélo, ne dormions que sous la tente, ne mangions que du riz au beurre et des tartines de pain beurré avec un peu d’ail ou du sucre, selon si nous en étions au plat de résistance ou au dessert. On nous a bien offert quelques patates et des framboises, une fois, alors que nous prenions une pause à l’ombre d’une station service. Bref, Pékin Express, on y croit à mort!

Certains nous diront que nous ne sommes pas nécessairement une référence en terme d’économies puisque nous avons aussi profité de la vie peu chère qui s’offrait à nous dans des pays plus pauvres.
Dans un autre ordre d’idée, voici une fille partie pour 10 ans dans un périple autour du monde, uniquement à pieds, et qui a dans ce but suivi des stages de survie. Budget : 4€/jour.
Et pour l’hébergement, quelle meilleure référence qu’Antoine de Maximy, célèbre voyageur de l’émission « J’irai dormir chez vous« ? Tous les soirs, un hotel est réservé au cas où il n’arrive pas à dormir chez l’habitant. Ce qui arrive 4-5 fois maximum en 15 jours.

Antoine de Maximy

Je pose donc la question : quel est ton secret, Nanard? Vite! Vite! Des trucs, des astuces, des noms! Tous les voyageurs veulent savoir!

Et si je poste cet article aujourd’hui, c’est que la réponse sourcée m’est tombé sous le nez il y a quelques jours à travers un vieil papier du Canard Enchaîné que vous pouvez télécharger en bas de page.
Outre les habituelles techniques de montage afin de faire passer un figurant pour un ange, son voisin pour un démon ou de filmer sur ordre les moments difficiles pour faire pleurer dans les chaumières (il est précisé de ne surtout pas couper par pudeur si un candidat vomit…), ce qui est vraiment intéressant sont les trucages pour aider tel ou tel concurrent à avancer… ou pas.
On apprend ainsi que l’équipe accompagnant les candidats n’hésitent pas à payer des chauffeurs pour que ceux-ci s’arrêtent en voyant les malheureux lever le pouce. D’autres locaux partent sans hésiter acheter de la nourriture pour de parfaits inconnus. Bénévolement bien entendu.
D’autres candidats, qui avancent un peu trop vite au goût de la production de M6, sont freinés. Un ancien participant raconte un « jour curieux » où la production stoppe la voiture dans laquelle ils étaient pour un excès de vitesse.
Un euro par jour donc, plus les backchichs de la production. Et si je dis que les habitants sont parfois payés, je crois employer un euphémisme.

Il est compréhensible que tout le monde n’ait pas envie ou ne puisse voyager avec un sac à dos, à l’arrache et en économe. Cela n’empêche pas que lorsque vous voulez savoir comment vivent les animaux de la jungle, vous n’achetez pas le DVD du Roi Lion et que vous ne prenez pas vos renseignements sur les tactiques militaires en regardant « Expendables » ou « Commando ».
Tout ceci est bien divertissant, mais ça s’arrête là. En sortant votre postérieur du canapé, vous pouvez avoir passé un bon moment devant Pékin Express mais en aucun cas vous n’aurez vu ou entendu un reportage digne d’intérêt sur la population d’un pays ou une façon de voyager léger.

Alors non, on ne vit pas avec un euro par jour (c’est possible, à poil). Mais dans le même temps, on ne se filme pas lorsqu’on vomit.

Le Canard enchainé – 2008.03.05 – Les aventuriers de M6 dans une course (Pékin Express) bidonnée




Le douanier ce héros

S’il est un personnage avec qui l’on ne peut faire sans pendant un tour du monde, c’est bien le douanier. Fidèle au poste, épaulettes lustrées, sa silhouette ne souffre aucun doute : il est temps de montrer patte blanche. Grâce à lui, le passage d’une frontière terrestre est systématiquement un moment particulier, une tradition attendue, redoutée pour certains, comiques pour d’autres.

Il y a de moins en moins à dire sur l’Europe. En ce qui nous concerne, les douanes italiennes et slovènes n’étaient déjà plus, à peine marquées d’une plaque commémorative ou d’un poste frontière à l’abandon. Que sont devenus ces fiers gardiens intra-Shengen ? Reclassés aux archives ?

Non loin de là, le douanier croate continuer d’oeuvrer avec sérieux et se contente du traditionnel coup de tampon, 10 secondes top chrono. Le Bosniaque fait dans l’économie d’encre quand le Serbe sort les bottes et le révolver d’apparat, toujours dans un rôle de cow-boy tamponneur. Le Roumain, plus sérieux, demande si vous ne seriez pas à tout hasard en train de tenter de passer un produit illicite à vélo et vous croit sur paroles. Ouf ! Quel fin limier ! Le Moldave insiste pour savoir où vous habitez, précisément. Même si le village dont il n’entendra plus jamais parler ne correspond plus aux renseignements du passeport. Nouvelle leçon de douane : une fausse information vaut parfois mieux que pas d’information. Vous pouvez dire à peu près n’importe quoi à un douanier, il est rarement assez professionnel pour vérifier vos dires.
Cette règle ne semble pas s’appliquer aux chauffeurs poids-lourds dont les véhicules forment systématiquement un longue file d’attente de plusieurs heures dans le meilleur des cas, et entraînant les coûts qu’on peut imaginer…

Le douanier de Transnistrie a vu en nos passeports deux bonnes raisons de prendre un peu sur son temps précieux et de nous questionner entre deux wagons, à l’abri des regards innocents. Ainsi, après nous avoir signalé que nous n’étions pas en règle en l’absence de tampon de sortie moldave (la Moldavie ne reconnaît pas cet État et considère que nous n’avons pas quitté le territoire…), il nous est demandé un « small present » pour récupérer nos papiers juste avant que le train reparte. Cinq euros seront nécessaires pour tuer dans l’oeuf ce flux migratoire illégal. La Transnistrie remercie son héros.

En Russie, c’est un silence de mort qui accompagne la montée des agents tamponneurs dans un wagon, indiquant que la crainte de l’uniforme ne s’est pas effondrée avec le reste. Malgré leur contrôle rigoureux, notre fausse invitation pour rentrer en Russie ne les intéresse pas, ils espèrent sans doute attraper de plus gros poissons. En Mongolie, on ne transige pas avec la quarantaine. Il faut acheter un ticket au but incertain sous peine de ne pas revoir la couleur du passeport. Ou alors, la tentation de défier un douanier est plus forte que vous, et vous décidez de patienter 2h pour économiser 50 centimes, le temps qu’ils craquent. C’est parfois une question de principe. Cette règle est valable pour la plupart des pays d’Asie du sud-est, notamment Laos et Cambodge.

La frontière chinoise fut sans doute la plus éprouvante. Obligés de traverser en jeep dans un style plus proche du stock-car que de l’embouteillage, le passage au compte goutte nous fera perdre près de cinq heures pour scanner nos sacs. Tous les faux documents fournis à l’ambassade (attestation de travail, billets d’avion, preuves d’hébergement) ne sont en rien responsable de ces délais puisque rien n’a été vérifié. Il aurait pourtant suffit d’un coup de fil à n’importe quel hotel mentionné ou plus simplement de lire pour voir que la signature de Barrack Obama ne correspondait pas au nom de mon supérieur, Gérard Bouchard.

Le douanier Viet est le plus « arrangeant » de tous. Il s’improvise banque d’échange de devises en un éclair, à un taux défiant toute concurrence. Il connaîtra du même coup le montant dont vous disposez, afin de régler les différents frais dont le calcul des charges reste à sa discretion. Dans le doute, ne jamais avoir un seul centime en poche. Officiellement. Et faire semblant de ne pas comprendre les petits papiers plein de chiffres que l’on vous tend.
Enfin, il est une question commune à l’ensemble des douaniers : « pourquoi venez-vous chez nous? » comme si la réponse conditionnait votre entrée sur le territoire alors qu’il est en train de parcourir votre « visa touristique ». Pour le logement, un nom d’hôtel bidon, voire un nom de ville au hasard suffit a priori à contrôler vos déplacements. Et l’Australie possède aussi des coutumes bien à elle.

Voici donc le rôle déterminant du douanier, que nous aurons vu berné par un simple chauffeur de bus chinois, dissimulant des téléphones portables sous le faux plancher, qui crée des files interminables de poids-lourds, ralentit les transports, entraînant des coûts dont tout le monde se passerait bien. Le gardien des frontières, premier rempart contre les invasions de toutes sortes, a-t-il un seul avantage ?
Que gagne-t-on à voir nos passeports coloriés ? À devoir répondre aux questions les plus imbéciles ? À perdre des heures, des jours, à attendre qu’un tamponneur veuille bien accepter que nous poursuivions notre route ? Connait-on un seul trafic qui ait cessé grâce à ces héros en uniforme ?

Il y a plus d’un siècle, Bastiat avait déjà senti l’arnaque (et encore, en supposant le douanier honnête) : Vraiment, je me demande comment il a pu entrer assez de bizarrerie dans nos cervelles pour nous déterminer à payer beaucoup de millions dans l’objet de détruire les obstacles naturels qui s’interposent entre la France et l’étranger (NDR : construction de routes, chemins de fer, ponts, etc.), et en même temps à payer beaucoup d’autres millions pour y substituer des obstacles artificiels qui ont exactement les mêmes effets, en sorte que, l’obstacle créé et l’obstacle détruit se neutralisant, les choses vont comme devant, et le résidu de l’opération est une double dépense.

Contre les envahisseurs, la France avait Maginot, le monde a ses douaniers.




Port Hedland, le Far West d’Australie

Voilà deux mois que je quittais Perth pour Port Hedland, (1600km plus au Nord, 10 000 habitants) afin d’y trouver du travail. Au-delà de la possibilité de gagner plus, il y avait aussi une volonté de couper dans la vie de backpacker et de ne plus côtoyer tous les voyageurs pendant que je travaillerais. Port Hedland est avant tout une ville minière : 90% de la population se promène en bleu de travail et la gent féminine est aussi bien représentée qu’il y a de kangourous vivants au milieu de la route en Australie. Ambiance testostérone. Les habitants accumulent en moyenne 2 semaines Aubry pour toucher 4 fois plus. Bref, ici, on bosse et il n’y a rien d’autre à faire. Quand on décroche un bon poste dans les mines ou le BTP, il est possible de devenir millionnaire en 10 ans, à condition de supporter ces conditions de vie pendant ce laps de temps. Au nord de la ville, c’est l’océan où la concentration de méduses, sauriens et autres animaux sympathiques interdisent tout baignade. Le reste est cerné par le désert sur 500km à la ronde. À l’horizon, les seuls reliefs dans l’étendue désertique sont les installations minières et les tornades en formation. La ville n’a rien de particulier, voire même rien du tout. Disons le minimum pour ce type de populace : quelques bars et un Mc Donald’s.

Si on ne trouve pas forcément tout de suite le poste en or, il est en revanche aisé de décrocher un travail bien payé. Pour ma part, cela a pris 24h. L’autre bonne surprise, qui est propre à toute l’Australie, est de recevoir sa fiche de paie. La première fois on se demande bien ce que sont ces trois lignes qui se courent après, après avoir connu les joies indéchiffrables d’une fiche de paie française : des primes de tenue de travail, des majorations de primes conv., des heures TEPA, du FNAL plafonné, de la FNGS, de la CSGCRDS temporaire qui dure, du FNAL déplafonné, une ligne « accident du travail » même quand on en a pas eu, de la contribution solidarité, une indemnité de trajet, une indemnité de transport, une indemnité compensation transport, une taxe sur… le transport, de la CNPO, de l’AGFF, du chômage TA, de la retraite qu’on aura pas, une taxe complémentaire employeur prévoyance et pour finir une ligne « autres charges patronales » qui a priori seraient trop longues à énumérer.
C’était un petit condensé d’une vielle paie d’apprenti sur laquelle une employée du personnel avait du passer 2 heures. Et encore, vous n’avez sûrement pas les mêmes acronymes ou le même nombre de lignes sur la vôtre selon dans quel secteur vous êtes, pour quelle compagnie vous travaillez, à quel poste, sous quelles conventions ou accords syndicaux obscures.

Ici, trois lignes donc.
La première fait la multiplication de vos heures effectuées avec votre taux négocié sans SMIC.
La seconde est indiqué « Tax ». Des taxes (13% pour les résidents) que vous récupérez à votre sortie d’Australie quand vous êtes étranger.
La troisième ligne correspond à la retraite (Superannuation) mais vient en plus du salaire. Ce n’est donc pas une cotisation, c’est de la capitalisation. Le montant (calculé sur 9% du salaire) arrive sur un compte spécial retraite dans votre banque. Compte que vous pouvez bien sûr compléter à côté par un simple virement. Ce montant est également débloqué lorsqu’on quitte l’Australie.
Et les assurances dans tout ça? Vous êtes couverts pour les accidents du travail par l’assurance de l’entreprise. Pour le reste, c’est vous qui voyez. À mon avis, personne n’a jamais souscrit d’assurance chômage… Les Australiens ont une couverture santé gratuite.

Au rayon des simplifications administratives appréciables, l’achat d’un véhicule et les démarches qui s’en suivent dans le Western Australia (d’autres états d’Australie sont plus pénibles) sont tout aussi éloignés de la situation française. On ne se rend pas dans une obscure sous-préfecture du Val de Marne avec un ticket de poissonnerie et un personnel définitivement étranger à votre démarche, alors qu’on vient de poser une après-midi. On va au bureau de poste pour faire enregistrer le changement de propriétaire, moyennant 70$ pour mon cas. Pour la suite, pas de contrôle technique. On paye environ 500$ par an (cela comprend une assurance au tiers) pour renouveler les papiers du véhicule, sur internet, cinq minutes. On ne remplit aucun Cerfa, et si vous voulez rouler dans une poubelle, c’est votre problème.

Ma poubelle dans le bush

En revanche sur leurs routes désertes, il vous faudra toujours un casque à vélo…




Le phénomène aborigène

Si vous souhaitez voir un Aborigène en Australie, votre meilleure chance est de vous rendre au supermarché. Pas qu’ils soient particulièrement attirés par les métiers de mise en rayon et de tenue de stock mais il se trouve systématiquement un petit groupe à procrastiner à l’entrée du magasin, demander une pièce et/ou picoler. En trois mois sur place, et après avoir traversé le pays du nord-est ou sud-ouest (de Cairns à Perth), je ne me souviens pas avoir vu un seul centre commercial sans « aborigène glandeur » à l’entrée, même au fin fond du bush. Et il est tout à fait certain que j’ai croisé beaucoup plus d’Abos type « chômeurs en fin de droits » qu’en train de bosser. Selon les sources leur espérance de vie est de 10 à 20 ans plus faible que celle des autres Australiens et 10 ans de moins que la moyenne des indigènes au Canada et en Nouvelle-Zélande. Le taux de chômage et d’incarcération est aussi beaucoup plus élevé que pour le reste de la population (un prisonnier sur cinq est aborigène alors qu’ils ne représentent que 3% de la population). Enfin, les Nations Unis ont évalué que les Aborigènes ont la pire qualité de vie au monde après la Chine alors que l’Australie est quatrième de ce même classement.

Il y a 40 ans, les sources d’un tel phénomène auraient été limpides tant l’histoire des Aborigènes avec l’Australie sauce « colonie » est loin d’être rose. Mais au-delà des innombrables injustices et violations de droits que les Aborigènes ont subi, c’est finalement un processus de mise sous tutelle qui s’est lentement installé et qui aboutit aujourd’hui à la marginalisation de ces communautés.

En débarquant en 1770, l’explorateur James Cook « offre » les deux tiers de l’Australie à la Grande-Bretagne au nom du principe de Terra nullius, déclarant que le territoire était donc inoccupé. C’est sur cette base que les Britanniques justifièrent l’expropriation et la colonisation des terres aborigènes. Cette occupation provoqua immanquablement la colère des locaux dont les lances ne soutinrent pas vraiment la comparaison face aux armes à feu européennes. D’après l’historien Australien Henry Reynolds, la résistance aborigène continua pourtant pendant bien plus d’un siècle, réussissant parfois à faire fuir les nouveaux arrivants de par leur nombre. Ce à quoi les colons répondaient par de sanglantes représailles. En marge de ces affrontements, les maladies européennes et l’alcool ravageaient les communautés indigènes l’une après l’autre.

En 1838, sont créés les postes de Chef protecteur des Aborigènes dont le rôle consistait à veiller à leurs droits. En contrepartie un contrôle social est mis en place, jusqu’à déterminer quels individus pouvaient se marier, où ils devaient résider, ainsi que la mainmise sur la gestion de leurs moyens financiers. La mise sous tutelle des Aborigènes débute sérieusement.
La politique de « protection » se poursuit dans les années 1860 quand les Aborigènes, accusés de tuer le bétail et de menacer les colons, commencent à être déplacés dans des réserves où des missionnaires furent chargés de les convertir à la chrétienté et aux valeurs de l’homme blanc. Ils n’ont alors d’autre choix que de vivre reclus dans des villages sédentaires, délaissant une vie nomade pluri-millénaire.

En 1869, afin de s’assurer du bien être des enfants métisses, le gouvernement est autorisé à enlever ces enfants à leurs parents pour les placer au sein d’institutions (missions, orphelinats, internats) ou de familles blanches. Officieusement, le gouvernement parie sur l’assimilation biologique de ces enfants et la disparition des Aborigènes. Ces fameux « Chefs protecteurs » se distinguent quelques décennies plus tard sur la question en déclarant «Toutes les caractéristiques indigènes de l’Aborigène australien sont généralement éradiquées à la cinquième génération, et le sont invariablement à la sixième. Le problème de nos métis sera rapidement éliminé par la disparition complète de la race noire, et par la submersion rapide de sa progéniture au sein de la blanche.» ou encore «Eliminons les Aborigènes pur-sang et permettons la mixture des métis parmi les Blancs, et peu à peu la race deviendra blanche». Ces enlèvements, aujourd’hui connus sous le nom de Générations volées, se sont poursuivi jusqu’en 1969 et le constat est accablant : Le rapport «Bringing Them Home» dévoilé en 1997, révèle que les enfants placés étaient souvent punis en cas de pratique de leur langue natale, afin de les couper de leurs racines. Parmi 502 cas étudiés, 17 % des filles et 8% des garçons des « générations volées » furent victimes d’abus sexuels au sein des institutions d’accueil, des familles d’adoption ou au travail. Les enfants «volés» ont en moyenne, par la suite, connu un taux d’éducation légèrement plus faible que les autres enfants aborigènes, un taux de chômage légèrement plus élevé, et un taux d’incarcération pour crimes et délits trois fois plus élevé.

Les années soixante marquent le début de profonds changements à l’égard des Aborigènes. En 1967, un référendum concernant l’intégration des Aborigènes dans le recensement national est approuvé à 90%. Ils deviennent alors officiellement citoyens Australiens. L’année suivante, l’amendement du Pastoral Industry Award entérine la revendication de Vincent Lingiari, qui réclamait un salaire égal aux autres travailleurs. En effet, jusqu’à cette date, les Aborigènes n’étaient payés qu’en rations alimentaires, tabac ou vêtements. En 1970, le statut de Protecteurs des Aborigènes est aboli, et deux ans plus tard, le premier ministre Gough Whitlam verse de la terre dans les mains du même Lingiari, symbolisant le retour des droits de la terre aux Aborigènes Gurindji. Le mouvement du « land right » se poursuit et en 1976, les Aborigènes peuvent revendiquer les terres non aliénées s’ils fournissent la preuve de leur ancienneté territoriale. En 1993, la loi sur le titre de propriété foncière indigène permet de contester la légitimité des droits fonciers de la Couronne britannique. Cela fait suite à la décision un an plus tôt de la Haute Cour d’Australie d’invalider le principe de Terra nullius.

Cependant, les problèmes de discrimination ne disparaissent pas et la dépendance économique prend alors une autre forme dès les années 70. Les revendications salariales obtenues, les éleveurs ne purent plus embaucher autant qu’avant et de nombreux Aborigènes se tournèrent vers les aides de l’État. D’autres, autorisés à rejoindre leurs terres ancestrales mais coupés de leurs traditions depuis des décennies, n’auraient jamais pu survivre de la même manière que leurs aïeuls. Les campements devaient être remplacés par des maisons, il fallait amener l’eau, l’électricité, les routes. Les habitants des communautés se mettent alors à vivre sous perfusion d’argent public passant d’un statut d’exploités à assistés, creusant encore un peu plus le fossé avec le reste de la population.

Dans le même temps, 50% des Aborigènes se sont aujourd’hui intégrés à la société australienne et y occupent tout l’éventail des métiers. Et alors que l’espérance et les conditions de vie des Aborigènes arrosés de subventions sont catastrophiques, les leurs sont comparables à celles des Australiens non-indigènes.

L’activiste aborigène, Noel Pearson, directeur du Cape York Institute for Policy and Leadership qualifie ces aides de sit-down-money (de l’argent pour s’asseoir) fournis par « l’État nounou » et n’a de cesse de critiquer leurs effets pervers.
Selon lui « le problème de base dans la réforme des affaires autochtones est analogue à celle qui faisait face à l’économie australienne dans les années 1980 et 90: l’absence généralisée de concurrence dans de trop nombreux secteurs de l’économie, publics et privés. Les gouvernements ont été contraints d’exposer les entreprises publiques et les services publics à la réforme de la compétition. La sclérose analogue affligeant la société indigène est l’absence généralisée de la responsabilité aux niveaux individuel, familial et communautaire. Tout succès de réforme est lié au fait de prendre la responsabilité à la racine.
Les bénéficiaires des aides et les politiques développent un intérêt pour la préservation de leur dépendance mutuelle. Cet intérêt se manifeste par une prise en charge de services par le gouvernement et par le fait que les bénéficiaires considèrent cette assistance comme un droit naturel.
La responsabilité et le pouvoir doivent être restitués aux populations autochtones. Toutefois, le contrôle de la communauté ne fournira pas toutes les réponses. Les réformes qui redonnent le pouvoir aux communautés autochtones doivent également être accompagnées d’un changement de comportement.
« 




Dans le désert, la tête à l’envers

Afin de ne pas chambouler trop vite nos habitudes en arrivant sur la très civilisée terre Australienne, nous nous offrons une dernière nuit de camping improvisée dans le hall de l’aéroport, l’occasion d’apprendre par le biais du technicien aspirateur que laisser traîner ses affaires sans surveillance constitue un délit passible de quelques centaines de dollars d’amende. Neuf dollars la navette pour se rendre au centre ville, les dortoirs d’auberge de jeunesse à 20$ la nuit, la demi-heure d’internet à 2$, des locaux un peu moins hospitaliers, faire les courses, sa gamelle, mettre un casque sur le vélo après 10 000km sans… pas de doute, l’Asie est loin derrière. Mais dans un sens, tant mieux puisqu’après une nuit à tenter l’impossible en appliquant de la glace sur un genou qui ne cessait de gonfler, il a fallu changer de crèmerie : l’hôpital de Cairns. Quitte à se faire opérer deux fois en 4 jours pour un petit saligaud de streptocoque sous la rotule, on préfère ne pas envisager la chose dans un mouroir du Laos ou chez le chaman papou. Et à 1300$ la nuit, l’assurance à 400€/an est largement rentabilisée.

La suite du programme étant programmée avec notre père et notre mère indignes (respectivement PI et MI dans les commentaires des articles), la période de convalescence n’allait au moins pas trop pénaliser les projets « boulot/pognon/se refaire la cerise ».
L’objectif prioritaire était alors de se rendre à Perth, tout à l’ouest, l’exact opposé de Cairns, là où le soleil brille et que le grisbi tombe un peu plus facilement qu’ailleurs. L’Australie pourrait être un continent, 6000 km à se farcir avant d’arriver à destination. Aussi nous décidions de raccourcir un peu le périple en van par un vol Cairns-Darwin.

Darwin, où nous entamons alors le périple durant lequel PI, MI et leur deux fils incapables se faisaient une joie de se retrouver après 16 mois d’absence. Et parce qu’en France notre famille est tellement dispersée dans un rayon de 100km à la ronde, un détour par le Litchfield National Park s’imposa pour y retrouver Charly et ses drôles de potes, le cousin maître ès crêpes et glanderies en tous genres depuis quelques semaines, qui ne nous fait toujours pas le plaisir de nous raconter son périple aux antipodes. Bref, vous lui pardonnerez comme vous pourrez ce manque de bravitude, notre petit séjour a été l’occasion de découvrir les merveilleuses créatures australiennes : les kangourous décapités, les vaches gonflées au bord de la route, les sauriens qui n’ont pas voulu pointer le bout de leur nez, les termitières de 5m, les perruches par milliers, les grenouilles cachées sous la lunette des WC, les bed bugs et les serpents venimeux, mortels en 30 minutes quand l’hôpital le plus proche est à 40. Tout ça est un peu gros pour la seule rubrique des chiens écrasés.
Une entrée en matière prometteuse, vite refroidie par les étendues désertiques interminables qu’on a du avaler par la suite. En cherchant bien, il doit même nous rester des grains de sable entre les incisives. Et puis, j’ai tenté de tourner ça dans tous les sens mais il faut bien l’admettre, traverser le désert a été d’un ennuuuuiiiiiiiiiii…. pfiuuuuu! J’ai donc décidé de vous épargner ça en citant Théodore Monod, alias le promeneur ou le marcheur du désert (père indigne me corrigera) : « Parler du désert, ne serait-ce pas d’abord se taire, comme lui? »

Voilà, donc si on vous demande…

Ce que nous retiendrons principalement de cette partie du voyage sont en fait les parties d’échecs à l’arrière du van (en rattrapant les pièces volantes dues aux écarts du conducteur), et les soirées de coinche épiques.

L’horizon s’éclaircissait alors que nous quittions Port Hedland, ville industrielle sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir dans un prochain article, et que nous entrions dans le Karijini National Park. Le parc national du Karijini, pour les non anglophones (Ouh qu’il est taquin!). Après 3000 bornes, voici un peu de changement. Du relief pour commencer : une gorge imposante dont on peut parcourir le lit asséché. Vous savez, le genre d’endroit où la cavalerie aime bien se faire bloquer par un gros caillou poussé par les Apaches dans Lucky Luke.

Suite à cela, il fallait reprendre un peu de Théodore Monod au dessert avant d’arriver à Exmouth pour une activité un peu moins aride : la plongée. Après avoir bêtement raté les récifs coralliens en Indonésie notamment, puis à Cairns, nous voici tout de masques et tubas vêtus, prêts à admirer goujons et carpes d’Australie dans leur environnement. Pour illustrer l’article, quelques photos aquatiques de Némo, ses amis et leur immense garde-manger seraient les bienvenues mais c’est mère qui les a toutes ramenées sans dire un mot (voyez à quel niveau d’indignation nous tombons là).

Nous entamons alors la descente sur Perth, encore près de 1500km mine de rien. Un dernier petit arrêt plongée pour rentabiliser le matériel, une plage de coquillages, une ville construite avec ces même coquillages, une tentative malheureuse d’apercevoir un eu plus qu’un petit aileron de requin et puis les « blow holes » et les « pinnacles. »
Les blow holes sont des trous naturellement formés dans la roche par l’action de l’eau. Ainsi, à chaque fois qu’une vague vient percuter la côte, un immense geyser s’élève au-dessus de nos têtes. Et si on s’aventure un peu au bord (toujours au sec, pas folle la guêpe), on est rapidement entouré par d’immenses vagues. Joli spectacle.

Pour continuer avec des références aux BD, on pourrait croire qu’Obélix est venu poser ses menhirs un peu plus loin qu’en Bretagne, au Pinnacles desert. Sur place, des milliers de concrétions rocheuses calcaires pouvant atteindre plusieurs mètres ont émergé du sable dans un spectacle étonnant. Et les perruches s’en mêlent pour notre plus grand plaisir.

Juste en-dessous, Perth s’élève, la première grande ville de notre parcours et notre point de chute pour tous les quatre. Une journée à flâner dans le parc qui surplombe la ville, puis les parents s’envolent alors vers leur escale d’Hong Kong et nous nous établissons à Northbridge, le quartier asiatique de la ville. Débute alors une partie un peu moins trépidante de notre voyage, anticipée mais redoutée depuis des mois : le… le… le… travail! Merde, c’est quoi ce mot là! Après 16 mois sans bosser et des images plein la caboche, la reprise ne va pas être facile, malgré la possibilité de gagner beaucoup plus qu’en France.

Qui a dit que l’Asie nous manquait déjà?




Terroristes biologiques

Savez-vous à quel point les australiens sont flippés de se retrouver avec un virus inconnu sur les bras, un poulet à trois pattes ou un lapin crétin qui contaminerait tout le reste du cheptel ? C’est arrivé en 1859 lorsqu’un chasseur britannique importa 12 couples de lapins et pas assez de cartouches. Les lapinous se retrouvèrent 600 millions 50 ans plus tard ! N’ayant pas de prédateur en Australie, les lapins furent plus gloutons que Taz lui-même et entraîna une chute de population chez les autres animaux. Pour tenter d’endiguer le problème, 3000km de barrière ne serviront à rien, ainsi que 2 virus et des renards qui ne s’attaqueront pas tout à fait aux bonnes bestioles. Depuis les australiens se méfient de chaque bactérie qui pourrait venir perturber l’équilibre biologique de leur continent.

Dessin de René Le Honzec

On était également au courant, et après 2 semaines à patauger dans la gadoue en Papouasie Nouvelle Guinée, un grand nettoyage était au programme avant de quitter le pays. Les vélos étaient recouverts de boue, leur housses remplies de terre séchée et nos sacs avaient acquis un voile grisâtre uniforme au court des derniers mois.

Bien sûr c’était évidemment sans compter deux diarrhées carabinées et une grosse infection du genou. Bref, on est arrivés tout cradingues sur l’immaculée Australie, incertains de ce qui nous arriverait à la douane de M. Propre™.

Dans l’avion il faut remplir la classique petite fiche d’immigration. Cette fois on ne nous demande pas si nous sommes des terroristes, mais si nos chaussures sont bien propres et nos aisselles parfumées. On a évidemment la grille gagnante : « a été au contact d’animaux, de fermes, de végétaux et bactéries en tout genre ». On est officiellement estampillés terroristes biologiques.

Débarqués de notre mini avion rempli d’Australiens tout propres, notre dégaine et les petites fiches jaunes nous trahissent de suite. Notre dernière douche remonte à plusieurs jours et nous avons passé la nuit dans l’aéroport de Port Moresby, entre un coin de moquette et les toilettes.

Alors que le terminal finit de se vider, nous vidons nos sacs devant les « douaniers biologistes » à la recherche du précieux germe qui pourrait chambouler tout l’écosystème australien. Toutes nos affaires sont enveloppées dans des sacs plastiques (en cas de pluie et d’étanchéité ratée) dont certains révèlent quelques surprises, tel un sac de fringues humides à l’odeur pestilentielle. Nos amis douaniers sont en face d’un cas d’étude et sont tout excités à l’idée de trouver une nouvelle espèce d’insecte plutôt que de courir après des pommes. Hé oui ne comptez pas importer une pomme en Australie, Terroristes !

Aéroport de Cairns

On se retrouve tous les quatres à aspirer les recoins des sacs et à nettoyer les vélos dans une douche géante à la brosse à dent et au dégraissant. Le visage de ma douanière s’éclaire lorsque je déplie les tentes. De petits insectes morts étaient coincés dans la toile intérieure. Ni une ni deux, elle en prélève une partie, toutefois un peu déçue de ne pas avoir trouvé d’oeufs (l’ennemi public).

Après 2 heures de nettoyage de printemps, nous sommes autorisés à entrer en Australie, propres. Pour fêter ça, on passera notre première nuit sur le sol, propre, de l’aéroport.

Aéroport de Cairns

Quitte à être paranos, les australiens se sont également dit « pourquoi pas interdire l’importation de fruits et légumes en Western Australia !? » (Le Western Australia est l’état à l’ouest qui fait environ la moitié de l’Australie). Ainsi, au beau milieu de nul part trône une douane dont la tâche est d’empêcher la contrebande de fruits et légumes. Certains font des saisies de cocaïne… eux traquent les bananes et carottes illégales. À  n’en pas douter, un acte certainement indispensable pour conserver l’équilibre écologique de cette région dont les frontières ont été tracées à la règle.

René Le Honzec est l’auteur du dessin illustrant l’article. Réalisé dans le cadre d’une re-publication de cet article sur le site Contrepoints, l’auteur a aimablement autorisé son autorisation sur ce site.