Sécurité en Papouasie Nouvelle-Guinée

Si vous avez suivi un peu nos aventures, vous savez donc que nous sommes en vie, bien portants et surtout ravis de notre périple en Papouasie-Nouvelle-Guinée. L’objet de cet article est donc de casser quelques mythes persistants concernant la sécurité dans ce pays et afin d’encourager quelques voyageurs réticents à le découvrir.

En cherchant des infos, vous tomberez régulièrement sur les recommandations de différents ministères des affaires étrangères vous conseillant de ne pas mettre un orteil dans le pays tant les risques sont importants de vous faire violenter, kidnapper, voire couper en rondelles dans une marmitte. Il y est question de raskolls, des bandits drogués ou éméchés qui attaquent tout ce qui traîne sur la route.
Et si vous connaissez un expat’, il vous parlera de ses rares sorties via des convois armés, de camps gardés jours et nuits avec barbelés et missiles à tête chercheuse. Damas, la jungle et les cannibales en plus. Ces derniers sont sensés avoir disparu mais vous trouverez toujours un bon ami pour vous rappeler qu’il a lu je ne sais où qu’il en restait quelques uns.

Si bien que les sites de voyageurs relatant leurs vacances en PNG sont une espèce rare, plus encore lorsqu’on veut savoir ce qui se passe en dehors des villes.
Il faut bien reconnaître que ce voile de mystères a largement influencé notre décision de nous y rendre, sentant que nos premiers pas en Océanie seraient sûrement bien différents de tout ce que nous avions vu jusqu’à maintenant.

Généralement, lorsque vous entrez dans une zone réputée à risques les locaux vous mettent rapidement à l’aise en dégonflant votre grosse baudruche pleine d’appréhension. C’est tout l’inverse en Papouasie. Les habitants de la ville A vous racontent que la leur est sure mais que la ville B est un repère de malfrats. Même discours dans l’autre sens en arrivant à B qui est sure, contrairement à A et C. Dans le Nord du pays, les locaux ne se rendent que rarement d’une ville à l’autre et ignorent en réalité à peu près tout de ce qui se passe à 150 kilomètres de chez eux. Il faut donc largement relativiser tous ces récits d’horreurs que tout le monde se raconte de bouche à oreille. Le danger est alors de ne plus croire ce qu’on nous raconte et de se remettre à voyager comme en Asie alors qu’il existe tout de même des risques non négligeables la nuit autour des villes. Le bon sens est de rigueur.

Les raskolls de chez nous

De jour, nous n’avons croisé que des habitants adorables toujours prêts à nous offrir leur hospitalité dans leurs villages fleuris et que j’imagine assez mal laisser traîner une bande de salopards vers chez eux. La nuit, nous demandions donc à planter notre tente dans un jardin et nous finissions systématiquement sous un toit. Il n’y a absolument aucun risque tant qu’on est avec des locaux ou bien caché au fin fond de la campagne. Nous ne dormions jamais dans les villes, le logement est beaucoup trop cher pour un budget limité, mais on compte pas mal de touristes australiens dans les villes de Madang ou Port Moresby, parfois avec des enfants.

Les habitants aiment dire que c’est « the country of unexpected« . Il est en effet possible de tomber sur des scènes insolites, a priori effrayantes. Dans le village de Gusap nous avons assisté au début d’une guerre entre clans. Des hommes armés de machettes, d’arcs et de flèches se préparaient à en découdre avec ceux d’en face qui se cachaient dans les champs de canne à sucre à moitiés en feu. Tomber au milieu d’un conflit armé que même la police locale ne semblait pouvoir stopper, ce n’est pas rien. Sauf qu’une guerre de clans ne concernent que les clans en question. De nombreux villageois étrangers au problème venant assister de très près à la future baston, nous avons rapidement eu l’assurance des locaux et des policiers qu’on ne craignait rien à traverser la « ligne de front » en vélo.

Tous ces ressentis nous ont été confirmés par Natsen, un militaire qui m’a pris en stop à la fin du séjour. Il se gaussait souvent auprès de ses amis australiens des légendes sur la PNG alors qu’il avait trouvé Sydney beaucoup plus violente. Il a fini par les emmener à Port Moresby en leur disant « Voici messieurs la ville qui est si dangereuse« .

La Papouasie est un pays à découvrir donc, mais pas n’importe comment pour autant. Les infrastructures, sont plus ou moins inexistantes et à peu près rien ne se déroulera comme prévu.
Avoir en vélo est un avantage indéniable dans un pays qui ne compte quasiment aucun transport en commun. Certains voyagent en stop, mais il faut parfois être prêt à marcher quelques heures sans voir un seul véhicule si vous décidez de stopper dans les villages (ce qui est tout de même la partie la plus intéressante du pays). La période de l’année à laquelle vous partez est importante. Par hasard, nous voyagions en saison sèche et il est certain que nous n’aurions pas pu emprunter certaines rivières ou chemins boueux à la saison des pluies : les habitants restent généralement bloqués chez eux plusieurs semaines quand le niveau des rivières montent.

On the road

Alex, au milieu de la… route

Bref, si vous planifiez toujours tout, calez votre programme au poil de c.. près et surlignez votre Lonely Planet, oubliez. Vous pouvez décider où partir, mais vous ne saurez pas quand. Si en revanche vous aimez l’imprévu, l’organisation à la hâte, croiser des mômes de 5 ans avec des machettes plus grandes qu’eux, sautez le pas, ce pays est pour vous.




Législatives exotiques

L’évènement n’a pas intéressé pas grand monde, tant il est vrai que le pays n’existe pas sur la scène internationale mais des élections législatives se tenaient en Papouasie-Nouvelle-Guinée en juin et juillet derniers. Je dis juin et juillet car ces élections se sont réellement déroulées sur deux mois, les infrastructures, les traditions locales ne permettant pas de voter, connaître et diffuser les résultats en un temps record comme nous en avons l’habitude.

Si ce scrutin nous intéresse aujourd’hui c’est que nous en avons vécu une partie de l’intérieur, du 10 au 25 juillet. Immergés parmi la population, dormants dans les villages, sillonnants les routes du pays, nous fûmes forcés de nous entretenir régulièrement à ce sujet avec les locaux. Les résultats, nous ne les découvrirons qu’à notre arrivée en Australie, des jours après les résultats mais sans doute bien avant certains Papous.

N’étant absolument pas experts politiques, et encore moins de ce pays, nous nous garderons bien d’en faire une analyse poussée. Nous découvrons aujourd’hui à travers cet article de Wikipedia, plusieurs aspects qui nous avaient échappé, ou dont nous avions vaguement entendu parler mais sans pour autant être capables de les confirmer tant les informations qui nous parvenaient localement pouvaient être contradictoires.
L’objectif ici, est plutôt de décrire l’atmosphère du pays, l’état d’esprit de la population à travers ces élections, leurs ressentis, leurs attentes.

Dès notre arrivée, nous ne pouvions manquer l’affiche électorale géante placardée sur le poste frontière : « Patrick muliale n’a pas de rêves, il a des visions« . Le slogan peut prêter à sourire mais cela participe finalement à la même logique qu’en France où chaque parti nous présente son messie, le seul capable de sauver la patrie. Chez nous on promet, dans un pays où l’éducation est sous-développée on parle de rêves et de visions.

Ici, pas de règles sur l’affichage, on placarde où on peut et chaque maison est volontaire pour mettre en valeur son ou ses préférés car on vote pour trois candidats, par ordre de préférence. Les magasins, les rares abri-bus, les arbres sont également sollicités comme support d’affichage, jusqu’à l’intérieur des maisons. Lors de notre séjour chez les Blackwara nous dormions ainsi dans une pièce ornée de pancartes à l’effigie d’un candidat indépendant dont le nom m’échappe. Sur les affiches, les programmes démagos sont relativement proches et la seule différence semble être le degré de corruption que les électeurs attribuent à chaque candidat.

C’est ainsi que le nom de Michael Somare ressort régulièrement comme symbole de ce fléau. Il est vrai que le Sir (il a été anobli par la Reine, la PNG fait parti du Commonwealth) a une longue expérience à la tête du pays et son état ne plaide pas vraiment en sa faveur : les principales villes ne sont toujours pas reliées entre elles et l’économie ne décolle pas malgré la proximité de pays riches (Australie, Singapour) ou émergents (Indonésie, Malaisie). Régulièrement Premier ministre depuis l’indépendance du pays en 1975 (1975-1980, 1982-1985, 2002-2011) dont il est l’un des artisans, Somare se paie le luxe de figurer sur les billets de 50 kinas, ce qui n’est généralement pas très bon signe.
Somare n’est plus premier ministre au moment de l’élection, une hospitalisation un peu trop longue lui a fait perdre son poste quelques mois plus tôt. S’en suivra une crise politique et un mic-mac législatif indémêlable qui connut un point culminant lors d’une tentative de coup d’État fin janvier. À peu près la seule info dont nous disposions en entrant en Papouasie.

Nous avons tout de même rencontré quelques irréductibles défenseurs du « père de la nation » tel John, qui croit fermement à l’honnêteté de son favori, lui qui a travaillé 21 ans pour le gouvernement. Un point de vue pas tout à fait désintéressé…

Bref, la situation est plutôt tendue au moment de ces élections, il était d’ailleurs conseillé de ne pas voyager dans le pays pendant la période électorale, jugée plus violente et dangereuse qu’à l’accoutumée. Sur place nous n’avons ressenti aucune tension due aux élections malgré les choix affichés au grand jour de chaque électeur. On recense tout de même de nombreux conflits liés à ces élections. Candidats arrêtés, mort, urnes détruites, enlèvement, etc.
De plus, tout achat de bière était interdit jusqu’au 27 juillet, date de l’annonce des résultats définitifs, ce qui nous priva de goûter la seule bière locale, South Pacific.

Le vote, qui avait déjà eu lieu courant juin/début juillet, s’est déroulé sur une semaine dans la province Sépik Occidentale, et a priori plus longtemps ailleurs, le temps pour tout le monde de se déplacer jusqu’au bureau de vote le plus proche, ce qui peut rapidement prendre plusieurs heures assis à l’arrière d’un pick-up vu l’état lamentable de certaines routes.

Transport en commun papou

L’heure était donc à l’attente des résultats, diffusés partiellement à la radio au fur et à mesure que les bureaux de vote les validaient. L’article wikipedia faisant parfois état de plusieurs dizaines de recomptages, il n’est pas étonnant que cela traînait en longueur.
Le candidat préféré du clan Blackwara était bien placé, mais une annonce radio ruina rapidement leur espoir, laissant entendre qu’il pourrait être disqualifié car un membre de son parti avait fait de la prison. Une technique d’élimination officieuse mais habituelle d’après eux.

Malgré leur calme extérieur on sentait le moment très important pour eux, qu’ils attendaient beaucoup de ces élections. Hormis les partisans de Somare qui nous paraissaient bien naïfs sur l’intégrité du garçon, tous souhaitaient en premier lieu la fin de la corruption qui serait la source de tous leurs problèmes. Et pendant que le gouvernement annonçait manquer cruellement d’argent pour financer des infrastructures, les Papous se plaignaient de la pression fiscale déjà trop forte. On ignore de quels montants ils devaient s’acquitter mais passées quelques routes goudronnés, on ne voit pas vraiment où leur argent a été investi ces dernières décennies. Sur place, nous n’avons jamais vraiment réussi à savoir de quel bord était chaque candidat, les notions de socialisme, conservatisme ou libéralisme leur étant assez étrangères et les programmes promettant tous peu ou prou la même chose. On se tournait vers le candidat qui habitait le moins loin…

Les résultats de ces élections annoncent tout de même un changement notable : Somare a été réélu député mais son parti (Parti de l’alliance nationale) ne recueille que 7 sièges sur 111 contre 27 auparavant, passant du même coup de première à quatrième force politique du pays. C’est son grand rival Peter O’Neill (Congrès national populaire) qui remporte le pactole avec 27 sièges, suivis de Don Polye (Parti rural du triomphe, du patrimoine et de la responsabilisation, 12 sièges) et Belden Namah (Parti de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, 8 sièges). Les 64 sièges restants se partagent entre 18 autres partis et 19 candidats indépendants.

Reste à voir si ce nouveau renversement de l’échiquier politique papou sera suivi dans les faits. O’Neill n’est pas un petit nouveau en politique (il participa plusieurs fois aux gouvernements de Somare avant d’en être l’opposant) et ses promesses électorales fleurent bon la démagogie de bas étage : l’éducation et la santé gratuite, quelques mois avant les élections.
Tandis qu’il faudra de toute façon patienter encore de longues années avant de voir la Papouasie-Nouvelle-Guinée se placer dans la cohorte des pays émergents de la région, d’éventuels changements seraient vite remarquables sur place à cause du sous-développement actuel : le transport maritime est quasiment inexistant (pour le plus grand bonheur des quelques compagnies aériennes, le comble sur une île), certaines pistes n’ont été créées que grâce à d’intrépides entrepreneurs malaisiens, l’électricité n’émerge que de quelques kilomètres autour des villes, et la capitale, Port Moresby, n’est toujours pas reliée par la route aux autres villes.




Guerre de clans papous

Après 5 heures passées au fond d’une coque de noix propulsée par deux moteurs surdimensionnés, nous retrouvons la terre ferme à Aitape, prêts à reprendre la route à vélo.

Papouasie Nouvelle Guinée - Aitape

Pour faire court, les 150 bornes jusqu’à Wewak ne sont parcourues que par des 4X4 et camions. La plupart du parcours est constituée de gros cailloux, de boue jusqu’aux genoux, de chemins de terre défoncés et d’innombrables rivières à traverser, voire à emprunter lorsque la route et le lit de la rivière ne font qu’un.

Papouasie Nouvelle Guinée - Transport public

Papouasie Nouvelle Guinée

Les locaux sont toujours aussi accueillants, loin des racailles alcoolisées décrites par nos premiers hôtes. Pas une journée ne passe sans qu’on nous offre du poisson séché, des noix de coco, pastèques ou ananas, et nous avons toujours une vingtaine de curieux pour nous observer pendant nos repas en bord de route. Lorsque nous demandons l’autorisation de squatter la plage paradisiaque d’un village pour faire trempette, un cours de navigation s’improvise.

Vélo en Papouasie Nouvelle Guinée

Papouasie Nouvelle Guinée

Nos expériences en ville sont très différentes. En quête d’une auberge à Wewak, un garde nous ouvre furtivement une porte haute surmontée de barbelés et la referme en toute hâte derrière nous. L’intérieur a un air de prison délabrée, à des lieues du prix indécent qu’on nous annonce. Les commerces de la ville sont entourés de barbelés et les gardes filtrent les clients comme dans un aéroport, un par un. En fin d’après-midi des épaves alcooliques font leur apparition et les locaux nous conseillent d’éviter certaines rues, moins sures. L’ambiance devient pesante. La ville enroulée autour d’un lagon bleu perd tout son charme le soir. Tant pis pour le confort, nous filons au port attraper le bateau pour Madang qui ne part que deux fois par semaine.

Papouasie Nouvelle Guinée - Bateau

Le bateau et son moteur défectueux nous rajoutent 8 heures au trajet. Il s’agit autant d’un transport de passagers que de noix de betel. Dans le hangar du port où nous passerons la nuit, les sacs du précieux contenu se vendent aux enchères et partent directement dans les Highlands (les « hautes terres », les montagnes de PNG, où les noix de betel ne poussent pas) pour être vendus 3 à 4 fois le prix de départ lorsque la cargaison est acheminée jusqu’à Mont Hagen, dernière grande ville des montagnes. Les noix se négocient directement dans le hangar et pas une noix ne sort avant d’avoir payé au port une taxe par sac qui correspond au coût du transport. L’acheteur loue ensuite un PMV (un genre de minibus taxi) pour partir dans les Highlands. 20K (kina) par sac et 100K par personne. Pour 3 personnes et 10 sacs d’environ 30kg, l’aller simple à Goroka à 350km revient à 200€. Une noix vendue 20 toyas (0.20K) sur le lieu de récolte peut grimper jusqu’à 1K (0.4€), au prix d’une cigarette dans la plupart des villes papoues. Et les cigarettes, même celles produites localement, coûtent plus cher qu’en France (7,75€ les 20) et reflètent le prix exorbitant de tous les aliments en Papouasie. Le pays produit très peu de nourriture (autre que fruits et légumes) et importe la plupart depuis l’Australie notamment.

Papouasie Nouvelle Guinée - Betel nut

À Gusap, sur la route pour Lae, nous découvrons pourquoi les Papous surnomment leur pays « le pays de l’inattendu ». À l’approche d’une ville, des locaux nous arrêtent en bord de route. Ils sont une cinquantaine, armés de lances et d’arcs aux flèches peintes et certains sont recouverts de boue sèche. Nous sommes arrivés au milieu d’une guerre de clans. Tous sont assis sur la pelouse entretenue, à l’ombre des arbres et se passent des miches de pain pour prendre des forces avant la bataille. Sans la sur-abondance d’armes blanches, on se croirait au milieu d’un pique-nique. Ils ne portent pas de costume particulier, seulement les mêmes fringues crasseuses de tous les jours, la boue en plus. Une semaine auparavant un type a planté un couteau dans la main d’un autre. Le clan de la victime a demandé 10.000 kinas (3900€) en réparation au clan du second. L’offre a été refusée et de fait, une guerre déclarée. Les hommes de chaque clan sont alors d’office mobilisés et vont se battre avec ce qu’ils ont sous la main : arcs, flèches, lances ou machettes. Comme n’importe quel pays, la PNG a des tribunaux et des juges, mais les clans se débrouillent la plupart du temps seuls, s’improvisant médiateur et juge. La justice passe soit par l’argent, soit la baston. Autant dire qu’en cas de pépin, il vaut mieux filer direct à la police qu’avoir à faire aux locaux.

Guerriers papous

D’une manière ou une autre, les deux clans se sont plus ou moins donné rendez-vous aujourd’hui pour se mettre sur la tronche. Le clan des montagnes (de l’agresseur) se cache apparemment dans les champs de canne à sucre aux alentours. Pour se mettre dans l’ambiance, ils ont lancé plusieurs feux dans les champs autour du village, la manière papoue de sonner le clairon pour annoncer la bataille.

Papouasie Nouvelle Guinée - champs brûlés

Les locaux autour de nous écoutent leur chef dans leur langue natale (une parmi les 800 autres utilisées en PNG) leur parler tactique de guerre ou macramé, on ne saura jamais étant donné qu’eux seuls peuvent communiquer dans cette langue. De l’autre côté de la route, un petit détachement de policiers assistent aux événements, impuissants. Pas très stressés pour autant, ils prennent docilement la pose devant notre objectif alors que les guerriers peints ne nous ont pas permis d’en faire autant. Ils ne craignent pas vraiment les débordements puisqu’une guerre de clan n’implique que les hommes des clans concernés. Autour, la vie suit son cours dans le village de Gusap, les commerces sont ouverts et personne ne montre un quelconque signe d’inquiétude. Les locaux qui nous expliquent la situation font parti de clans différents et sont aussi peu concernés par la guerre en cours que nous. Tous nous assurent que nous ne craignons rien si nous continuons notre chemin.

Papouasie Nouvelle Guinée - police

Les événements se déroulent lentement et personne n’a l’air motivé à aller se faire charcuter. Nous sommes déjà arrêtés depuis une heure et nous devons repartir pour trouver un campement avant la nuit. Au moment de les quitter, je m’arrête à l’écart du groupe de Papous armés et braque mon appareil sur eux avec une certaine appréhension suite à leur premier refus. Tous se rejoignent et brandissent leurs armes en criant, comme pour se donner du coeur à l’ouvrage.

Guerriers papous

À la suite de cette inhabituelle journée et quelques 150 km supplémentaires, un streptocoque écourtera notre séjour en PNG en squattant le genou de Grégory. On ne saura pas s’il vient des rivières qui nous ont servi de douche ou du bateau où nous dormions par terre. Une micro coupure suffit. Nous croyons au départ à une inflammation quelconque, jusqu’à ce que le genou prenne un volume démesuré et que la jambe ne plie plus. Nous sautons dans deux avions d’affilée et dormons dans leurs aéroports respectifs avec la bénédiction du personnel. Les Papous n’en finissent pas de nous étonner lorsque nous arrivons au premier aéroport avec trop peu d’argent pour nos deux vols et qu’il n’y a ni change ni distributeur à moins de 40 km. Après leur avoir montré notre maigre reste de kinas, ils nous dirent simplement « Donnez moi ce que vous avez et c’est bon ».

L’aéroport de Port Moresby fermait la nuit et nous devions prendre un vol le lendemain. Le premier gardien nous a donné sa bénédiction pour dormir à l’intérieur et nous a fait faire le tour du propriétaire au pas de course. Quelques minutes plus tard il appelait un ami chauffeur pour m’emmener faire des courses en ville. Grégory et moi étions tous les deux malades en plus de l’infection du genou. Une employée de nuit prit pitié de nous et nous rapporta petits gâteaux et boissons.

Je termine sur ces faits anodins car la générosité des Papous est ce qui représente le mieux la Papouasie Nouvelle Guinée. Les locaux ne sont pas intéressés par votre porte monnaie mais par vos histoires. La nature leur donne presque toute la nourriture dont ils ont besoin et le reste nécessite peu d’efforts. Une vie sans grandes distractions, mais simple et douce. Pour les intéressés, n’hésitez plus, les locaux vous adopteront et vous considéreront comme l’un des leurs.




Voyager en dinghy-class

La Papouasie Nouvelle Guinée est un pays qu’il vaut mieux parcourir sans agenda. Si une pluie torrentielle n’empêche pas votre voiture de traverser une rivière, la fiabilité toute relative des locaux peu habitués à entreprendre quoi que ce soit finira bien d’achever votre parcours bien ficelé.

Heureusement, on avait rien prévu. Après 4 jours à se la couler douce parmi nos hôtes, le clan Blackwara, il devenait plus que temps de reprendre la route. L’organisation du transport ne semblant pas leur fort, nous primes les choses en main en rebroussant le chemin jusqu’à Vanimo pour trouver nous même un dinghy. Le dinghy est un petit bateau pour 6-8 passagers qui a la fâcheuse tendance de se renverser dès que la mer s’agite un peu. À part le moteur, tout est d’une seule pièce en fibre de verre, une grosse coquille vide, sans sièges ni toit, et évidemment sans toilettes. Les conditions idéales pour le voyage de 5 heures sans interruption qui nous attend, qu’il pleuve ou que la mer s’agite.

Dinghy boat

En route pour Vanimo nous croisons Jerry, un jovial glandeur professionnel censé partir avec nous, accompagné de sa famille.

  • Hey Jerry, we see you in Vanimo ?
  • Yes, I find a car and and see you there.

Mais non, Jerry ne viendra pas, overbooké sans doute. Jerry était le spécialiste des discours foireux dès que l’occasion se présentait, à faire des bilans creux et des plans sur la comète, solennellement, façon remise de prix nobel :  « Alexandre, Grégory, vous êtes parmi nous depuis 3 jours… vous mangez comme nous et dormez comme nous. On parle de votre pays et du monde extérieur, on apprend des choses… ». Ça ne menaient jamais à rien, jamais de question, seulement de plats constats. Nous acquiescions de la tête, un sourire poli. Les papous sont fascinés par n’importe quel sujet mais ne posent jamais de question et la seule réaction que vous pouvez attendre d’eux est un tic de surprise ou désapprobation en faisant claquer leur langue sur leur palais. Sans télévision ni journaux à la campagne, ils ne connaissent presque rien du monde extérieur. Le peu qu’ils connaissent, ils le répètent 10 fois comme si c’était la première en ayant le sentiment de vous révéler une info capitale même s’il s’agit de vous dire pour la centième fois que leur principale nourriture est le sago. Un jour j’ai dessiné Jester, un chasseur du village. Il a montré le dessin à d’autres jeunes du camp en leur répétant une demi-heure où nous étions tous les deux assis dans la pièce lorsque je l’ai dessiné. Un fait sans intérêt. Chez eux c’est une histoire, chez nous une anecdote que nous n’aurions même pas idée de partager.

Dinghy boat

Au port de Vanimo on embarque sur un dinghy direction Aitape. Le pilote place les passagers symétriquement de part et d’autre du bateau pour l’équilibrer puis on s’élance à toute allure en rebondissant sur une mer ondulante. Chanceux, nous avons droit à une planche de bois en travers du bateau pour s’assoir, planche qui glissera lentement en arrière jusqu’à ce que je me retrouve sur le dos, au fond du bateau. Pour parler il faut hurler pour couvrir le bruit des moteurs. Aux abords des villages, des pêcheurs sur des bateaux rudimentaires taillés à même un arbre sont disséminés à la surface de l’eau. Nous filons au travers à toute vitesse pendant que les gens font coucou. Ils aiment bien dire bonjour aux connus ou inconnus. Ça occupe, et ils sont encore plus vifs quand ils aperçoivent les deux blancs becs que nous sommes. À l’horizon, la surface de l’eau frétille… Le bateau ralentit, le conducteur a repéré un banc de gros poissons. Il amorce un long virage en déroulant sa ligne pleine d’hameçons. Les passagers en profitent pour s’allumer une clope ou recommencer à mâcher de la noix de betel. Ils peuvent maintenant cracher leur excès de salive rougie hors du bateau sans s’en prendre plein la tronche. Tout le monde scrute la ligne à l’affut de la moindre agitation. Je vous laisse imaginer comment ça se passerait en France si le conducteur du bus que vous venez de payer une petite fortune s’arrête en chemin pour se gratter un Bingo.

Dinghy boat - pêche

Dinghy boat - pêche

Arrivés à Aitape la ville est tout aussi lugubre que Vanimo, les rues occupées par quelques locaux éparpillés, figés dans une pesante atmosphère. Les supermarchés sont mieux gardés qu’un coffre fort, sans fenêtres et entourés de gardes et barbelés. Pas très engageant. Un ivrogne nous portant beaucoup d’intérêt fini de nous convaincre de mettre rapidement les voiles direction Wewak, à 150km de là.




Quatre jours au Blackwara Camp

Suite à notre courte escale dans la ville de Jayapura et une laborieuse journée de vélo pour rejoindre la frontière, nous voici officiellement en Papouasie-Nouvelle-Guinée (PNG), pays inconnu, réputé dangereux, primitif voire cannibale. Un cocktail détonnant que nos avons hâte de découvrir, toujours accompagnés de notre organisation approximative.

Nous sommes alors rapidement rassurés sur la possibilité de longer la côte en vélo, la route de la frontière à Vanimo étant relativement plate, recouverte d’un beau bitume, peuplée d’autochtones des plus hospitaliers et bordée de plages « carte postale » à notre entière disposition. Même pas le temps de penser aux puk-puks, ces crocodiles des mers locaux pouvant atteindre les sept mètres.

Bref, un départ parfait malheureusement freiné après quarante kilomètres quand nous apercevons au loin une voie cabossée et montagneuse qu’on venait de nous promettre à la sortie d’un « supermarché ».

Tant pis pour les plages désertes et nos mollets, nous nous engageons une bonne heure dans ce chemin de croix quand un groupe de Papous nous stoppent, d’abord pour nous offrir spontanément bananes, boissons chocolatées, biscuits (et finalement tout ce qu’il était possible de tenir dans quatre mains), puis pour nous proposer l’hébergement pour la nuit. La décision ne fut pas difficile à prendre devant tant de bienveillance et nous étions admis dans le clan Blackwara (Pierre noire).

Le clan a un chef, dont le pouvoir se transmet de façon héréditaire depuis que les Australiens ont donné ce privilège à un de ses aïeuls. On est loin du glamour japonais autour de leur empereur descendant d’une lignée divine mais tout le monde semble respecter cette filiation promue par les colons.
La PNG est ainsi divisée en clans et l’intégration d’un nouveau clan passe forcément par l’aval du chef. Les changements sont nombreux et les refus plutôt rares puisqu’il est généralement interdit de se marier au sein d’un même clan. Il s’agit donc la plupart du temps de « regroupement familial ».

Rapidement nos hôtes nous indiquent qu’il est hors de question de continuer en vélo, la route étant beaucoup trop dangereuse : attaques fréquentes, souvent mortelles, rivières infranchissables, etc. Nous avons fait fi des conseils glanés épisodiquement sur internet mais rien ne vaut en principe les conseils des locaux. Après avis, Aitape, Wewak, Bogia, Madang, Lae, Port Moresby, tous ces villes étaient pires les unes que les autres, certains villages ne seraient composés que de Raskolls (les kaïra locales, le plus souvent drogués ou alcooliques) et les anecdotes les plus horribles accompagnent leur récit. Nous connaissions la réputation du pays avant d’arriver mais jusqu’à aujourd’hui, nous avions toujours été rassurés par les populations quand nous devions traverser un pays risqué. Nous nous fions donc une fois de plus à leur jugement mais si nous voulons voir un peu du pays, il faudra tout de même penser à passer outre leur bons conseils de temps en temps.
Ils promettent alors de nous arranger un véhicule pour le lendemain, qui se rendrait à Wewak. Par « arranger« , il faut comprendre stopper un des nombreux pick-ups en espérant qu’il ait de la place à l’arrière. Ce qui ne doit poser aucun problème.

La boy’s house, la cabane où nous dormons

À l’intérieur du camp, le stress n’est pas au rendez-vous. Les hommes, c’est bien simple, ne font strictement rien de la journée, pendant que les femmes s’occupent du jardin, de la cuisine et de vendre quelques bricoles au bord de la route. On est tout de même loin de la grosse activité d’un côté comme de l’autre.
Tous mâchent et raffolent des noix de betel, qui, associées à de la moutarde et du « lime » (de la chaux?) rendent les dents rouges vives. Ces sourires sanguinaires nous accompagnent depuis notre escale de ferry à Nabire. La consommation est tellement importante qu’on compte presqu’autant d’arbres à noix de betel que de cocotiers.

Et la cueillette? Facile.

Le soir, les hommes se réunissent dans la boys’ house où les femmes n’ont pas le droit d’entrer afin de « telling stories« . Une petite appréhension nous envahit d’abord à l’idée de devoir nous acquitter d’un rôle de conteur. En réalité, nous attend une soirée glandouille pendant laquelle tout le monde se regarde dans le blanc des yeux si nous ne posons pas quelques questions.

John, grand chasseur brecouille

Première nuit sur le plancher, c’est bon pour le dos paraît-il. Nous ne sommes pas vraiment convaincus au réveil. Nos sacs sont prêts dans le cas d’un départ précipité dans une voiture mais rien ne laisse penser que quelqu’un s’occupe de trouver un transport. On nous emmène « wash-wash » à la rivière, où les enfants jouent la plupart de la journée sur un toboggan formé par le courant au fil des ans. Une feuille de bananier sous le postérieur et voici un parc aquatique improvisé se finissant souvent par une grosse gamelle.

Le repas, composé de bananes vertes, de bread-fruits (fruit qui rappelle le goût du pain) cuits au feu de bois et de noix de coco est plutôt fade. Les heures passent et aucun véhicule ne semble être disponible. Autant faire bref, ils vont nous faire le coup tous les jours, nous racontant des tas de problèmes invraisemblables, qu’il n’y a aucun bateau, aucun véhicule alors que nous savons pertinemment à travers le guide qu’on nous a offert qu’il y en a tous les jours. Ils doivent sans cesse arranger un transport via un ami qui connaît un beau frère d’un cousin qui aurait une voiture ou un bateau selon les versions. Ils se rendent à Vanimo des journées entières, revenant soit bredouilles, soit bourrés.

Leur hospitalité étant des plus attentionnée, nous comprenons qu’ils veulent en réalité que nous restions mais n’osent pas nous le demander directement. Nous restons quatre jours parmi eux, plus ou moins volontairement.
Pendant notre séjour, chacun souhaitait s’occuper des deux blancs, ce qui nous valait parfois de voir arriver 3 repas copieux au lieu d’un. Et tous les jours des montagnes de biscuits, des fruits, des dizaines de gamins à poil pour « wash-wash » avec nous et la nuit tombée, nous repartions dans une séance de « telling stories« . Ces petites réunions deviennent vite ennuyeuses puisque ne faisant rien de leur journée, ils n’ont rien à raconter. Nous parlons alors plusieurs fois de notre voyage, suscitant beaucoup d’intérêt mais peu de questions en retour.
Côté médecine, les accouchements se passent à l’hôpital local, qu’il faut payer. Et pour tout le reste, il y a la feuille de salat, une plante sauvage avec laquelle ils frappent la zone douloureuse. Mal de ventre, hématome, foulure, fracture? Salat. Après essais, ça semble bien n’être qu’une ortie dont nous doutons fortement de la capacité à soigner les fractures.
Et en cas d’échec, amputation maison ?

Pour communiquer, rien de plus facile puisqu’ils sont nombreux à parler anglais ou tok pisin, un mélange de dialecte papou et d’anglais développé il y a un siècle quand les Allemands contrôlaient l’île de Papouasie.
Good morning=morning
Good afternoon=apinoon
Thank you=tenkyou
My name is=name do me
Your name is=name do you

À l’école, ils apprennent donc dans l’ordre le dialecte locale, le tok pisin, puis l’anglais. Quand ils peuvent s’y rendre, car l’école la plus proche du clan est à 20km. Nous leur avons soumis l’idée de faire cours sur place, les enfants étant tout de même assez nombreux et les hommes ayant une propension assez impressionnante à la procrastination. Mais un silence de plomb a suivi notre suggestion… Ils semblèrent un peu plus enthousiastes lorsque nous avons parlé d’hydroélectricité, croquis à l’appui, au lieu de bricoler des montages avec des batteries de deux roues mais nous sommes bien persuadés qu’aucun n’a entrepris le moindre projet en ce sens depuis notre passage. Un homme, présenté comme un « grand chasseur » n’a rien attrapé durant notre séjour et le seul épisode de chasse qui nous a été rapporté s’est soldé par une fin prématurée causée par une panne de lampe électrique…
Nous comprenions vite que nous avions à faire à des gens qui non seulement ne sont pas des foudres de guerre mais qui n’ont jamais à l’esprit l’idée de progrès, qui se contentent de ce qui est à leur portée, nous rappelant le comportement des Laotiens, préférant dormir sous une cabane en lambeaux plutôt que de la retaper. Après tout pourquoi pas, mais leur journée sont si peu remplies que l’ennui est palpable.
La thèse du gouvernement corrompu pour expliquer les retards du pays prend petit à petit du plomb dans l’aile et il est difficile de se plaindre lorsqu’on n’entreprend absolument rien. Le manque d’initiatives privés est au moins autant responsable de la situation du camp. Un seul d’entre eux travaillait et semblait avoir un train de vie un peu plus « élaboré », se payant le luxe de regarder quelques DVD. Les autres, oisifs, ne semblaient pas sensibles à ce contraste.

Notre petit séjour parmi eux n’en était pas moins agréable. Chouchoutés, nous partagions un temps ce mode de vie avec beaucoup de plaisir, à généralement partager la vie des gamins Blackwaras et jouer aux échecs depuis notre cabane.

Mais toutes les bonnes choses ont une fin et nous décidions de prendre le taureau par les cornes pour organiser notre départ. Tout de même un peu las de se faire mener en bateau, nous partirons le lendemain matin pour Vanimo afin d’en prendre un nous même.

La suite, se passera encore sur l’eau.