Célébrons Bacchus, Dieu de l’ivresse

Aujourd’hui, pas de vélo, de camping ou de douaniers tatillons, nous allons parler picole et louer l’éthanol. Après tout, le nom de notre site rend directement hommage aux vertus de l’alcool et du voyage et nous n’en avions encore jamais vraiment parlé. Afin d’être tout à fait précis, l’idée de cet article m’est venu en lisant Drink, a cultural history of alcohol (un livre admirable), tout en voyageant en Oman, un pays plus réputé pour ses dunes de sable que ses brasseries artisanales. Et ce sont pourtant les Arabes qui ont donné son nom à cette merveilleuse molécule en l’appelant « le mascara » du vin : Al-Kohl.

Lion King, le whisky moins cher que l'eau sur Don Det island

Lion King, le whisky moins cher que l’eau sur Don Det island

Je ne vanterai pas personnellement les effets de l’ivresse sur un vélo. Le peu de bières que nous avons avalées avant de rouler nous ayant coupé toute motivation au pédalage. Cependant, à l’époque du Tour de France (je veux dire, quand ils faisaient vraiment le tour, pas le petit circuit touristique d’aujourd’hui), certains ont su bénéficier de ses effets. Beaucoup de coureurs en avaient dans les gourdes en guise d’énergisant. René Pottier sur le Tour 1906, grisé par son avance considérable sur ses poursuivants, s’arrête dans un troquet lors de la cinquième étape et commande une bouteille de vin qu’il boit presque entièrement avant de les rejoindre à leur passage et de s’offrir le luxe de remporter l’étape. En 1950, Abdel-Kader Zaaf est pris de malaise et les spectateurs qui n’avaient pas d’eau sous la main (la belle époque!) l’asperge de vin pour lui faire retrouver ses esprits. Zaaf se remet en selle… mais repart dans le sens inverse jusqu’à rencontrer la voiture balai, auréolé d’une odeur toute particulière.

Devant un bistro de Dien Bien Phu

Devant un bistro de Dien Bien Phu

Si ces anecdotes ne prouvent rien en soit sinon que l’alcool est source de rire, il faut se souvenir que sans vin et bière, l’humanité n’en serait pas à ce stade de développement aujourd’hui. Pendant de nombreux siècles, les boissons alcoolisées constituaient le seul liquide sain à ingurgiter, l’eau étant liquidus non grata et vecteur de maladies. Évidemment, ce schéma s’est totalement inversé pendant les quelques périodes de prohibition aux USA et en Russie notamment où, comme l’évoque Francis Blanche dans les Tontons : des clients devenaient aveugles, ça faisait des histoires. Rien d’étonnant lorsqu’on lit les recettes qui se vendaient à l’époque. En URSS, voici un cocktail que donne Venedikt Erofeev dans son livre Moscou-sur-vodka : 100g de bière Zhiguli, 30g de shampooing, 70g de solution antipelliculaire, 12 g de super glue, 35g de liquide de frein, 20g d’insecticide. Le tout à a faire mariner une semaine avec du tabac à cigare. Certaines recettes sous la prohibition américaine n’ont pas à rougir : le liquide de frein et l’essence étaient de grands classiques pour diluer l’alcool. Vouloir interdire l’alcool, c’est un peu comme empêcher les gens de vivre. D’ailleurs, entre prohibitionnistes et assassins, j’affirme qu’il faut franchir le pas. Nous pourrions illustrer ceci à l’aide d’un joli point Godwin puisqu’Adolf, qui ne buvait pas, avait pris parti d’interner les alcooliques dans les camps en leur attribuant le triangle noir. Je précise par mesquinerie qu’il était aussi végétarien. Je dis ça…
Ainsi, les circonstances de son suicide s’éclaircissent. Il n’a tout simplement pas supporté de perdre la guerre contre Churchill et l’oncle Jo de Russie, deux alcooliques notoires.

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S’il est aujourd’hui difficilement imaginable de concilier armes et boissons, les armées ont longtemps été inondées en vin. Pendant la guerre de 14, le ravitaillement en vin était une des préoccupations majeures. Le vin était réputé pour donner force et courage aux combattants. Deux millénaires plus tôt, les légions romaines étaient également largement fournies par amphores et tonneaux sur les champs de bataille. Les Romains utilisaient aussi parfois la picrate comme tactique pour saouler les peuples barbares et les massacrer plus facilement. Partons encore plus loin dans l’antiquité du temps d’Alexandre le grand. Celui-ci était connu pour son goût immodéré pour le vin et n’hésitait pas à prendre des décisions saoul comme un cochon. A-t-il perdu la guerre? Alors! Bon. En face, chez les Achéménides, on n’était pas en reste. D’après Hérodote, le pinard était utilisé pour prendre des décisions importantes. Ils discutaient d’abord des différentes options ivres, puis s’ils prenaient la même décision sobres le lendemain, c’était adopté. Ils pouvaient aussi le faire dans l’autre sens : sobres puis ronds. Certes, ils ont perdu la guerre, mais leur Empire n’avait rien de ridicule pour des saoulards dans leur genre. Darius Ier, leur roi le plus illustre avait comme épitaphe : « J’étais capable de boire une bonne quantité de vin et de bien le supporter. » Rions dans les cimetières!

Dans un troquet de Rangoon

Dans un troquet de Rangoon

Longtemps, les peuples de l’antiquité ont vénéré Bacchus (ou Dyonisos), Dieu du vin, de l’ivresse et des débordements sexuels. Priape étant son fidèle compagnon, on imagine à quoi ont pu ressembler les bacchanales, ces joyeuses fêtes romaines célébrant leur Dieu préféré. Le carnaval est d’ailleurs une des survivances des bacchanales. Je milite avec enthousiasme pour qu’on lui redonne son sens originel.

Plus près de nous, Alfred Jarry a abhorré l’eau comme personne : les anti-alcooliques sont des malades en proie à ce poison, l’eau, si dissolvant et corrosif qu’on l’a choisi entre autres substances pour les ablutions et lessives, et qu’une goutte versée dans un liquide pur, l’absinthe par exemple, le trouble.
Rimbaud, Verlaine, Baudelaire, tous accrocs. Bref, l’alcool a toujours joué un grand rôle dans nos sociétés et je cois sincèrement que nous avons perdu beaucoup de la convivialité de l’alcool. Combien de fois ai-je bouillonné en entendant « Un dernier verre et j’arrête parce que je commence à être pompette« . Mais saoule-toi nom de Zeus! Boirions-nous toujours autant de vin sans l’ivresse qu’il procure? Alors! Profitons de cette sensation plus souvent, elle est merveilleuse. Je me dois ici de placer un autre petit Audiard : « Si quelque chose devrait me manquer, ce ne serait pas le vin, ce serait l’ivresse » (Un Singe en hiver)

Évidemment, avec les exemples que je donne, je pourrais tout aussi bien faire l’éloge d’autres drogues, parler des restes de pavot retrouvés dans les grottes du paléolithique et finir sur les mêmes illustres artistes. Ça ne me dérangerait qu’à moitié mais je préfère le génie de l’éthanol. Oui, le génie! Sinon, comment expliquer que la découverte de l’alcool précède celle de la roue? Les Aborigènes d’Australie n’avaient pas la roue au 18ème siècle, leur grand tort est de n’avoir jamais découvert l’alcool. CQFD. Et s’ils sont aujourd’hui ivres du matin au soir, c’est pour rattraper le temps perdu.

Laolao whisky

Laolao whisky

Surf sur le toit d'un tuk-tuk

Surf sur le toit d’un tuk-tuk

Un génie qui nous aura aussi fait passer de merveilleux moments durant notre voyage autour du monde. Je me souviens de cette soirée avec des pêcheurs de Moldavie qui ne parlaient pas un mot d’anglais, dans une cabane en bois éclairée à la bougie. Nous avons tous fini complètement ivres et hilares. Imaginer la même soirée sans une goutte de leur piquette infâme me fout le bourdon. Un peu plus loin en Russie, les trains sont remplis de Slaves souhaitant partager leur vodka. Le transsibérien fut le lieu imprévu de quelques saouleries mémorables où là encore, l’alcool fit des miracles de compréhension entre les peuples. Et l’Asie du sud regorge de locaux prêts à se mettre à l’envers pour boire un coup avec un falang.

Mr Theeb nous a rincé toute la soirée. On ne pouvait pas partir, il pleuvait...

Mr Theeb nous a rincé toute la soirée. On ne pouvait pas partir, il pleuvait…

Pavel m'a tuer

Transsibérien, Pavel m’a tuer

Moscou-Irkutsk sans vodka? Sans moi. Le Laos sans leur immonde vitriol aux serpents? Quelle infâmie! J’aurais encore des dizaines d’anecdotes en Chine, en Birmanie, en Thaïlande, au Viet-Nam où l’alcool nous a permis de tisser des liens avec des autochtones que nous aurions ignorés dans des circonstances plus sages. Eux aussi d’ailleurs. Je n’oublie pas non plus mes superbes soirées désinhibées à San Francisco, San Jose, Mbeya, Kampala et South Hedland. Je me souviens de chacune d’elles, du plaisir que j’en ai retiré, de ce qu’elles m’ont apporté. J’ai passé deux ans en Australie avec une bande d’assoiffés géniaux. Les premiers souvenirs qui me reviennent systématiquement à l’esprit sont nos nuits terminées par une Salsa du démon dans un camp de dealers/junkies/réfugiés politiques. Pas besoin de faire un dessin. Ça ne m’a pas empêché de faire plus de 30 000 km en vélo. Peut-on s’amuser sans s’intoxiquer? Oui oui. J’adore jouer aux échecs, mais comparons ce qui est comparable. Je parle ici d’évasion, d’orgasme alcoolique, d’une virée dans les étoiles, d’oublier un moment tout ce qui m’emmerde et de m’envoler avec des collègues qui partagent la même passion. Albert Quentin décolle pour la Chine, Fouquet fonce en Espagne et « moi, moi qui suis resté le plus fier », moi, je chante encore et toujours mon répertoire de paillardes. N’ayons pas la cuite mesquine!

Les pêcheurs moldaves

Les pêcheurs moldaves

Quant aux austères, aux partisans de la tempérance, les eschatologues de l’alcool, ils sont encore plus imbuvables qu’une bonne gueule de bois. Ça ne mérite même pas qu’on en parle tiens! Et puis au moins, la gueule de bois, ça se soigne.

Je profite une dernière fois pour recommander le livre de Iain Gately, Drink, rempli d’anecdotes historiques croustillantes célébrant Bacchus et ses disciples. Et à votre santé!

Au stade de Vientiane, Alex supporte les joueurs depuis le bord du terrain

Au stade de Vientiane, Alex supporte les joueurs depuis le bord du terrain