Ukraine, ma petite retraite de Russie

Je passais la nouvelle année à Kiev, toujours accompagné de Florian pour sa dernière semaine de voyage, et de John, un ami venu me rendre visite pour l’occasion. Comme pour nous il y a quatre ans, ses pupilles se dilatent à chaque fois qu’il croise une Ukrainienne, surtout quand celle-ci le dévisage sans vergogne en retour. Lui non plus n’avait pas voulu nous croire avant de venir, je le comprends. Et puis Kiev est une jolie ville. Je l’ai redécouverte avec plaisir sous la neige, je m’en souvenais finalement très peu.

Comme il y a 4 ans, j’ai de nouveau été surpris par l’hospitalité à deux vitesses des locaux capables de vous ignorer honteusement dans les moments les plus difficiles (j’avais d’abord mis ça sur la situation un peu tendue du pays mais ça n’a pourtant pas l’air de les préoccuper outre mesure) et de vous couvrir de nourriture dès qu’on a brisé la glace avec une conversation lambda. Un peu troublant.

Le situation politique mérite d’ailleurs un petit détour par la Crimée, point sensible sur lequel les partisans des deux camps ont plaisir à nous aveugler de leur point de vue sans qu’on leur demande leur avis. Je dois dire que mon opinion penche plus côté russe car les Criméens rencontrés se positionnent ouvertement pour l’affiliation avec la mère Russie et ne comprennent pas comment on a pu les rattacher à l’Ukraine.

Autre lieu célèbre de la région mais pour d’autres raisons non moins sordides : Tchernobyl. Une amie m’avait dissuadé d’y aller en 2011 et j’y repensais depuis à chaque fois que je voyais des photos de Pripyat (la ville fantôme située à côté de la centrale) traîner sur internet. Cette fois, je me suis payé le tour, car il est bien sûr hors de question de s’y rendre en vélo, il faut de l’autorisation et du laisser-passer officiel.

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Évidemment, le point qui rebute le plus est le risque d’exposition à des taux élevés de radioactivité et j’ai donc recherché un peu sur internet sur ce qui s’en disait : dans la nature nous sommes exposés à des taux de l’ordre de 0 à 1µSv/h (microsiverts). En général, ça tourne dans les 0,10-0,20, Kiev est à 0,13. J’avais un compteur Geiger en permanence avec moi pendant toute la visite et 99% du temps à l’intérieur de la ville fantôme de Pripyat on est sur du 0,10-0,25. On est monté à 1,2 juste à l’extérieur d’un jardin d’enfants, à 2,5 à deux cents mètres du réacteur qui a explosé en 1986 et le guide nous a montré UN coin à 9µSv vers une racine d’arbre près du jardin d’enfants. Dans tous les bâtiments, le taux est normal car le plus fort des radiations n’est pas rentré. Et dans un avion de ligne à 10 000m d’altitude, ça monte à 8-9µSv par heure et fumer cinq paquets de cigarettes est équivalent à recevoir une dose de 1 mSv, c’est-à-dire que la dose maximale admissible pour le public en une année, ça calme non? Le guide vient là quasi quotidiennement, il y a des gens qui travaillent à Tchernobyl sur des durées de 15 jours, et certains habitants sont même revenus vivre dans les villages aux alentours sans qu’ils n’aient pour le moment plus de problèmes que les autres. Bref, les cinq heures sur place ne présentent donc pas un danger exceptionnel, Canal+ y a même envoyé un de ses journalistes qui nous accompagnait pour l’occasion.

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Et ça vaut franchement le coup. La ville fantôme de Pripyat fait partie de ses lieux dont on ne peut se rendre compte de l’ampleur de la situation qu’une fois sur place. Un peu comme la frontière Nord-Coréenne, l’immensité d’un désert ou la muraille de Chine pour ce que je connais. Entre les immeubles totalement abandonnés, l’ancien supermarché, les gymnases, les écoles, la bibliothèque, la piscine (où des scientifiques se sont baignés jusqu’en 1998 car protégée de l’intérieur), la grande roue et la piste d’auto-tamponneuses (qui devaient rentrer en service le 1er mai 1986, soit cinq jours après l’explosion), on imagine très bien le drame des habitants qui ont dû tout abandonner derrière eux du jour au lendemain.

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Comme les autorités n’envisageaient à aucun moment que des touristes puissent venir visiter une ville abandonnée, il avait été ordonné de récupérer toute la ferraille des bâtiments et les dégradations visibles sont donc à 90% du fait du gouvernement.
C’est évidemment le seul musée où les écriteaux n’ont pas besoin de préciser « on touche avec les yeux » car personne n’a envie de laisser traîner ses paluches n’importe où ou de ramener un petit souvenir. Pour les intéressés, je recommande de s’y rendre en hiver car les groupes sont plus petits et le guide beaucoup plus souple avec les règles.

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Puis les fêtes sont passées et il m’a fallu quelques jours pour reprendre le rythme au moment d’entamer mon dernier mois de voyage, seul cette fois puisque tous mes partenaires ont préféré rentrer au bercail avant l’heure. Le moral était bon car je sais que je reverrai tout le monde d’ici peu et que je veux désormais profiter un maximum des derniers jours sur la route mais les jambes faisaient défaut et le temps s’arrangeait pour rejouer la grande retraite de Russie 200 ans plus tard.

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La route entre Kiev et Lviv n’a aucun intérêt et il me faut bien tous les podcasts des grosses têtes version Bouvard et Jacques Martin pour me fendre la poire au milieu des paysages gris et des visages fermés. En arrivant à Lviv et pour aller à Vienne, il fallut prendre une décision : la Pologne, la Slovaquie ou la Hongrie? Ça faisait 500km que je me posais la question et j’ai fini par choisir la route la plus au sud en espérant une petite vague de chaleur revigorante. Au sud justement, les Carpates s’annonçaient sur mon chemin et c’est au coeur de la montagne que les choses se gâtaient définitivement : la neige a commencé les hostilités alors que je grimpais les cols entre deux stations de ski, avant que mon porte bagages ne cède définitivement à la tombée de la nuit.

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Pas de quoi freiner mes ambitions et je réparais tout ça avec les moyens du bord qui se composaient d’une fourchette, un boulon et deux colliers de serrage. Ce montage m’a permis de tenir presqu’une journée avant que ma pédale droite ne s’écrase au sol à vingt kilomètres de Mukachevo, l’axe du pédalier avait cédé!

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La loi des séries, mais cette fois je ne sais ni réparer, ni faire de vélo avec une seule pédale… La perspective de faire du stop avec tout mon fourbis me déprime d’avance. C’est le moment où il ne faut surtout pas trop cogiter à la situation, agir très vite à l’instinct et avancer si on ne veut pas tomber dans une spirale négative. Je plie tout à la va-vite et tends le pouce avec mon plus beau rictus, surmontant de vieilles fripes sales et malodorantes. Une famille s’arrête dans une voiture neuve après un gros quart d’heure et à force de bonne volonté de leur part, tout rentre sans trop dégueulasser l’intérieur. Ils font le tour de la ville pour trouver un magasin de vélo ouvert, il est 17h, samedi, c’est mort jusqu’à lundi. L’instinct me dit de poursuivre plus loin et ils m’accompagnent jusqu’à la gare acheter un billet pour Budapest le lendemain matin car il était bien entendu hors de question de partir sans m’avoir hébergé, nourri et blanchi.

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L’Ukraine en long

Après Odessa, puisqu’il a bien fallu partir, nous avions deux objectifs en tête : Kiev et Sokyryntsi (où Diana, une amie ukrainienne devrait nous y attendre). Le petit trip Tchernobyl a été abandonné au regard du prix d’américain qu’ils réclament pour leur petit safari soviètique. Bref, un premier jour de vélo assez déprimant suivi d’une première tentative de stop dès le lendemain rapidement concluante : un jeune couple d’ingénieurs ukrainiens fait preuve de beaucoup d’abnégation pour faire rentrer toutes nos arguailles dans leur voiture et nous emmènent jusqu’à Uman’ où leur route bifurque. Enthousiastes après la route de la matinée nous repartons sûrs de nous et sereins dans notre entreprise. Seulement voilà, les dieux avaient déserté la place et les rares tacos qui acceptaient de mater nos mines déconfites nous faisaient l’aumône. Trois heures plus tard, deux emplacements plus loin et sur le point de remonter les bêtes par dépit revoilà nos deux sauveurs de la matinée qui nous reconnaissent. La tâche est un peu plus ardue puisqu’il faudra aussi faire avec un matou et quelques cagettes de fruits ramassés en cours de route. L’arche de Noé complète nous repartons alors pour Kiev avec Alesya et Orkhan en messies. Le luxe ira jusqu’à nous déposer devant une auberge dans Kiev et s’assurer qu’il y ait de la place avant de nous quitter sans nous avoir laissé un numéro de portable à utiliser en cas de problème. Que demandez de plus?

Orkhan&Alesya

Notre petit séjour à Kiev débute alors et nous remarquons dès la première soirée quelques similitudes avec Odessa qu’Alex n’avait pas manqué de grassement relever dans le dernier article. La ville en elle même est assez vivante la nuit, quelques monuments impressionnants sont à voir et soulignent la grandiloquence le grand n’importe quoi de la période communiste. Mais seulement Kiev reste une capitale et comme quiconque (a déjà échangé avec le diable à Paris) le sait, une capitale est parfois hautement merdique pour circuler (surtout quand on casse sa chaîne et qu’on doit se faire remorquer par son frère) et les gens sont souvent plus distants. Ce sont bien là les seuls points noirs que nous pourrons relever sur cette jolie ville qui semble agréable à vivre.

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Mais nous ne nous attarderons pas malgré quelques soirée excitantes en perspectives avec d’autres occupants de l’auberge où nous résidons. J’ai dit à Diana que nous arrivions à Pryluky (une petite ville avant son village) le 7 juillet et nous devons partir à la recherche d’un bus qui aurait un peu de place à partager avec nous. Arrivés à la gare, le tableau est parfait : j’ai perdu le numéro de Diana sur la route, nous ne captons pas internet pour le récupérer, elle n’a pas internet chez elle, aucun bus n’a de place pour nous et nos bagages, elle ne sait pas quand on arrive, et ne m’a pas donné son adresse… Comme situation merdique ça se pose là l’air de rien quand même.
Finalement, je repère un jeune avec un iphone et arrive à lui faire comprendre qu’il faudrait que je me connecte sur son téléphone dans la banlieue de Kiev… en cyrillique. Bon, on y arrive après un bel acharnement du garçon que nous remercions et j’arrive à récupérer le numéro de Diana. Peu de temps avant un bus avec des vraies soutes à bagages comme les vraies est arrivé et semble partir à Pryluky mais impossible de savoir quand… (en fait les bus partent quand ils sont pleins, on ne risquait pas de paner quoi que ce soit). Le chauffeur est très sympa et nous profitons d’une pause clope sur la route pour lui demander d’appeler Diana avec son portable. Ca ne marche pas (tout comme la veille d’ailleurs). Nous finissons le trajet de deux heures jusqu’à Pryluky en pensant qu’on était vraiment en train de s’enfoncer dans le colon du monde pour être poli et sans aucun contact à l’arrivée (à 21h30). Dernier arrêt, terminus, le chauffeur nous demande si on veut réessayer : j’appelle et j’entends Diana « bouge pas on arrive, on arrive ». Cloc. Ben je comprends rien. En fait le chauffeur avait réessayé plusieurs fois de rappelé, a pris de pitié de ses deux étrangers et les Ukrainiens se sont arrangé pour qu’on s’y retrouve.

C’est à partir de là que nous passons dans un autre monde : le chauffeur du lycée dont le père de Diana est directeur a été « réquisitionné » pour venir nous chercher, nous avons le choix entre 4 chambre pour dormir à l’internat, un étage pour nous et dans la cuisine de l’eau fraîche sortie du frigo avant qu’on arrive et des petits gâteaux nous attendent sur la table. On serait presque gênés par tant d’hospitalité.

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Et les 3 jours qui suivent seront du même acabit. Outre le fait d’avoir une guide parfaitement bilingue en la personne de Diana pour découvrir la région, nous aurons droit aux succulents et copieux repas ukrainiens, aux chauffeurs à volonté et le père de Diana ira même jusqu’à aller chercher les billets de train pour la Russie. Et vous l’imaginez bien, nous ne sommes pas repartis les mains vides, emmenant avec nous confiture de fraise maison, miel, lard, ail. Un festin pour les 4 prochains jours de vélo. Un grand merci donc à tous ceux qui ont donné de leur temps pour nous, l’hospitalité ukrainienne est vraiment à découvrir et le pays mérite qu’on s’y attarde.

Diana&greg

Bon, le merdier, c’est que j’ai oublié mon compteur de vélo dans l’histoire. Oui je perds tout, c’est pas nouveau et pas près de s’arranger.

Diana




Ah ! Odessa !

Depuis 40 jours, nos clichés sur les pays visités sont régulièrement ébranlés. On attendait rien de la Slovénie, n’étions pas complètement sereins en pensant à la Serbie et imaginions la Roumanie peuplée de roulottes et de forains. Certes je force un peu le trait mais le fond est là.

Et l’Ukraine ? On avait en tête Tchernobyl et des gens blancs comme des culs,  froids et distants. C’était un peu l’idée avant de trainer nos guêtres à Odessa.

« Ah ! L’odeur du goudron sur les quais d’Odessa ! Le vent du large dans les cheveux de ce pauvre cher Constantin « 

Odessa

A peine arrivé, on comprend d’emblée que cette ville est un gigantesque vivier, et on ne parle pas des poissons de la mer noire là. Les tops du Victoria’s secret fashion show sont probablement toutes importées d’Ukraine. On s’est demandé à plusieurs reprises les justificatifs à présenter pour vivre à Odessa et louer un appartement : salaire, avis d’imposition, justificatifs des précédents logements, mensurations… Nos sorties en ville de jour comme de nuit révèlent que ces chères autochtones sont loin d’être froides et distantes. Ce qui est couramment connu en France comme le regard masculin du crevard est en Ukraine vêcu autrement. Dixit un local, l’ukrainienne est flattée d’être ainsi observée et n’hésite pas à vous dévisager en retour. On a perdu quelques dixièmes aux yeux à cause de ça…

Passons sur ces longues paires de jambes effilées à chaque coin de rue car Odessa n’a pas que ça à offrir. La vie nocturne est aisée grâce aux minimarkets ouvert H24 et aux nombreux pubs ouverts tard dans la nuit et se termine généralement sur la plage à attendre un lever de soleil à boire de la bonne vodka à 3€ la bouteille (champagne 3€ aussi mais a le goût de Clairette de Die, et bière, 1/2€). Ces gens ont le sens de la fête. Ils se démènent des heures devant un bon groupe pop-rock qui joue ses classiques, font un super accueil aux étrangers et célèbrent ces rencontres autour de shots de vodka – orange. Les plus hypes s’en vont festoyer dans un quartier nommé Arkadia un peu en dehors de la ville. Ce sont des discothèques branchouilles où il faut « Suit-up! » obligatoirement, au bord de la plage et apparemment blindées de beau monde. Vos correspondants locaux n’ont pas pu tester, faute de vêtements appropriés !

En résumé la vie y est douce, cheap, animée et bien entourée ;)

Riding in Odessa