Je suis pas un demi-sel!

Vendredi 16 décembre, je pars de Nang Rong vers midi. Je suis con de partir si tard, j’ai 120 km à m’emplâtrer pour arriver à Sikhio, ma destination du jour. Journée classique : la route est plate, je mange mes soupes et assiettes de fried rice le long du parcours, je fais bronzette deux-trois heures torse-nu et le soleil tape. J’avance plutôt bien, j’en suis à 26km/h de moyenne après 115 km et me voilà arrivé devant Sikhio. La route du lendemain se présente sur ma gauche tandis que je dois continuer tout droit pour entrer dans la ville. Je me sens bien, il y a encore au moins une heure de soleil, je continue avec en tête ces 152km au Laos que je m’imagine bien égaler. Et si je ne trouve nulle part où dormir, j’ai toujours ma tente en dernier recours.

route

route2

La prochaine grosse ville est Saraburi mais il y a encore plus de 100 bornes pour la rejoindre. Autant dire que c’est beaucoup trop loin. Impossible à atteindre ce soir. Quoi qu’il en soit, je maintiens la cadence, la nuit commence à tomber et la large bande d’arrête d’urgence (ah oui, c’est limite une autoroute), les éclairages parsemés et les conducteurs assez civilisés pour des asiatiques rendent le voyage supportable. Je franchis la barre fatidique des 150km mais rien de bien folichon pour s’arrêter et pour le moment les jambes suivent. Je fais finalement halte après 163km. Pour manger. Je réfléchis un poil pendant le repas sachant que je viens de passer un panneau indiquant « Saraburi 72 KM ». Et pourquoi ne pas l’éclater ce record? Je n’en ai pas l’occasion tous les jours et puis j’ai déjà fait plus des deux tiers du parcours. Allez c’est parti!

compteur

Quand je remonte sur mon vélo, un camionneur s’approche, me demande où je vais et propose de m’emmener à Saraburi. Autant dire que c’est le genre de situation dont on rêve à peu près tous les jours en pédalant, du stop spontané, sans même lever le petit doigt, c’est du jamais vu depuis notre départ. Par principe, on ne peut évidemment pas refuser une telle proposition.
Mais là je dis « No, thank you, I want to go by bike ». Je sais pas ce qu’il m’a pris, je voulais pas qu’on m’aide un jour comme ça. J’aurais l’impression d’avoir triché. Et me v’là parti pour Saraburi, toujours à moitié dans l’obscurité évidemment. Je commence à ressentir les premiers effets de la fatigue et la moindre petite montée ridicule se finit en danseuse pour atteindre un pénible 18km/h alors que j’arrive à taper dans le 35 sur du plat. Un peu paradoxal mais je ne me pose pas trop de questions et une belle pente de plusieurs kilomètres vient redonner encore un peu plus de peps à mon parcours. Saraburi s’approche et j’attends l’entrée de la ville à près de 22h quand la même configuration qu’à Sikhio se présente (route du lendemain à gauche, Saraburi tout droit). Oui enfin là Bangkok c’est 110km plus loin et j’en ai déjà 220 dans les pattes, faut pas déconner non plus. J’en ai bien rêvé sur le vélo mais j’étais vite passé à autre chose.

Il y a cependant un élément non négligeable auquel je pense : cet Ecossais que nous avons croisé en Russie, puis en Mongolie, roulant 150 km par jour en moyenne, établissant un record à 250 en une journée. Je ne suis finalement qu’à 30 km de son record, ce serait trop bête de s’arrêter si proche alors que mes jambes suivent. Et puis quoi? J’ai fait 225 je peux en rajouter 110 de plus non? Non? Je me dis « Si » et je finirai à pédaler avec les mains s’il le faut. Je ne croyais pas si bien dire. Alors que j’entame ma descente au sud, un vent de face se pointe. Pas décidé à me laisser emmerder par une petite garce de condition météo après tout ce que j’ai fait, j’appuie de plus belle pour tenir le rythme. Et schlak! Une grosse douleur dans la jambe me fait stopper net. Je suis obligé de reconsidérer mon objectif, sachant que la ville n’est que quelques kilomètres derrière moi. Mais je choisis d’abord de prendre le temps, m’étirer, beaucoup boire (faut dire que je suis pas très assidu question alimentation sportive…), poser une bande bien serrée, placer quelques aimants. Je bouge un poil après une demie-heure d’étirements, ça va mieux. Ce n’est pas la grande forme mais j’envisage sérieusement de continuer.

D’ailleurs, je continue… en appuyant sur ma jambe avec la main quand il faut forcer. Me voilà donc bientôt à pédaler avec les mains comme prévu. Cette nuit j’atomise tous les records et rien ne m’arrêtera bordel! Oui, là j’estimais avoir le droit de placer tous les jurons qui me plaisaient, si ça pouvait me donner un peu de courage pour finir, et j’en use régulièrement jusqu’à la fin : foutus mollets, saloperies de voitures en contre-sens, connards de pneus laissés sur la route et sur lesquels je roule dans le noir manquant de me vautrer, etc, etc.

vélo-nuit

Je passe la barre des 300km, je prends des photos du compteur, je repense à mon marathon de Lyon quasi sans entraînement. Tout est bon pour oublier une autoroute qui devient franchement monotone. Les 50 derniers km se font au courage. Il est 2h du matin environ, les paupières commencent à être lourdes et je finis par entrer dans ce qui ressemblerait à une ville, Bangkok. Bon Dieu, j’y suis! Ah non, il reste 30 bornes… Ça n’en finira jamais…

compteur2

Au nord de la ville, des sacs de sables par milliers ornent le trottoir, dernières traces des récentes inondations qui ont touché le pays avec les tas de débris et quelques ruelles encore sous l’eau. Je retrouve alors les joies du canidé farceur fonçant sur mes mollets avec entrain, m’obligeant à forcer pour éviter la morsure. Pfiuuu, moi qui n’arrive plus à poser le cul sur ma selle, faut encore que j’évite les clébards! C’est pas un parcours de demi-sel ça!

chon

Enfin j’arrive en ville et je finis par demander ma route aux nombreux taxis qui m’indiquent d’étranges directions. Après quelques détours je finis par comprendre que Khao San road est une toute petite rue, là où j’imaginais une grande artère immanquable. J’arrive sur place à 4h du matin et fonce au McDo le plus proche m’enfiler un BigMac-Coca-frites, assis sur le trottoir comme un clodo. On m’invite à venir boire des bières dans la rue, encore en ébullition à cette heure. Moi je ne pense qu’à une chose : polochoner! Je cherche quelques temps l’auberge où Alex doit être, puis abandonne rapidement. J’aurais bien le temps pour ça demain et je vais pas tailler le bout de gras cette nuit. Je m’allonge sur un lit sans drap, chose d’habitude assez rédhibitoire, et m’effondre comme un mort après 347,75km à 25,31km/h et 13h44 d’affilées à me taler la croupe.

compteur3

tshirt

Tee-shirt propre du matin après 347km

Profitez, je suis pas près de remettre le couvert!

profil

Joyeux Noël à tous!